ERUPTION DU 13 JUILLET 2018

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Une vieille dame de 250 ans au moins

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La chapelle dessinée par Bory de Saint-Vincent d'après Patu de Rosemont et dont il conserva le nom donné par le savant et botaniste local Joseph Hubert.

ERUPTION DU 13 JUILLET 2018

Par François Martel article du 15 juillet 2019

Comment la Chapelle et ses jumelles se sont-elles formées ? Leur histoire est associée à la mise en place du champ de lave de l'enclos Fouqué (CLEF), qui remonterait à la deuxième moitié du 18e siècle, même si cette datation, élaborée notamment à l'aide de descriptions de visiteurs du volcan à l'époque, fait débat parmi les scientifiques.

Le champ de lave de l'enclos Fouqué

En résumé, selon Jean-François Lénat et Patrick Bachèlery (tous deux anciens directeurs de l'OVPF), à partir du tout début des années 1750 un lac de lave actif existe à l'emplacement du cratère Bory actuel. Il s'épanche de manière plus ou moins continue, recouvrant de roche fondue les pentes du cône sommital. Celle-ci finit par inonder le fond de l'enclos jusqu'au pied du rempart et peut-être même une grande partie voire la quasi-totalité de l'enclos Fouqué (près de 100 km2), entre le sommet et le littoral. Plus de quatre-vingt dix kilomètres carrés auraient été recouverts sur une épaisseur moyenne estimée entre 5 et 10 mètres. Volume de lave émis : de 450 à 900 millions de mètres cubes de lave, soit près de deux à quatre fois la plus importante éruption historique connue (240 millions de mètres cubes en un mois au Tremblet en avril 2007). Cette activité se serait étalée jusque vers 1795, avec des écoulements de lave modestes et une accumulation progressive, donnant ces laves lisses ("pahoehoe" selon la terminologie hawaïenne en usage) qu'on foule notamment entre le bas de l'escalier du pas de Bellecombe et la chapelle de Rosemont. Comment s'expliqueraient ces quatre décennies très actives ? Tout ce qu'on sait provient de l'analyse des laves de l'époque encore préservées dans le quart nord-ouest de l'enclos Fouqué : elles apparaissent peu évoluées, révélant l'origine profonde et le transit rapide d'un magma qui n'a pas séjourné de manière prolongée dans des réservoirs superficiels. Au Kilauea, à Hawaï, les volcanologues ont relevé sept éruptions de ce type en trois siècles, la dernière en date ayant débuté en 1983, elle se poursuit encore en 2018, trente-cinq ans plus tard… Les scientifiques estiment d'ailleurs qu'un tel scénario peut se répéter à la Réunion.

Une zone habituellement épargnée

Quant à la formation de la Chapelle elle-même, Laurent Michon, responsable du laboratoire GéoSciences de l'université de la Réunion, explique : "La lave provenant de la zone sommitale s’est épanchée dans des tunnels le long des fortes pentes du cône central avant d’arriver dans la zone de plus faible pente de l’enclos Fouqué. La présence de nombreux tumulus à la rupture de pente entre le cône et l’enclos Fouqué suggère une rupture du toit des tunnels de lave par surpression magmatique dans les tunnels de lave. C’est dans ce contexte que s’est développé l’ensemble volcanique de la chapelle de Rosemont." Au fil des éruptions qui se succèdent tous les huit à dix mois en moyenne depuis les derniers siècles, il ne subsiste plus de nos jours du champ de lave de l'enclos Fouqué, qu'une dizaine de kilomètres carrés dans le quart nord-ouest de l'enclos… dont une petite partie a encore été recouverte vendredi, laissant la place à des gratons bien peu plaisants pour les marcheurs.   Heureusement, les fissures éruptives au piton de la Fournaise s'ouvrent très rarement dans cette zone, épargnée depuis plus de 250 ans.

 


La chapelle de Rosemont décrite pour la première fois en 1760

La première ascension du sommet du piton de la Fournaise attestée par une relation écrite, réalisée en 1751, ne mentionne ni le Formica Leo, ni ce qui ne s'appelait pas encore la Chapelle de Rosemont. Son auteur, le chevalier Dolnet de Palmaroux, a-t-il considéré ces curiosités géologiques comme dépourvues d'intérêt particulier, ou bien n'existaient-elles pas encore ? 

La date de la formation de la Chapelle de Rosemont restera sans doute un mystère même si son apparition est incontestablement liée à la mise en place du champ de lave de l'enclos Fouqué (CLEF) au cours de la seconde partie du 18e siècle (lire par ailleurs).

La première description en est donnée par l'ordonnateur du roi Honoré de Crémont, dans le compte-rendu rédigé à son retour d'une expédition au volcan, en 1760, neuf ans après Palmaroux : "M. Hubert l'aîné, aide-major dans la troupe nationale du quartier Saint-Benoît […] traversa toute la largeur du Rempart et arriva jusqu'au pied du volcan […] et nous raconta qu'il avait vu deux cavernes en forme de grottes assez curieuses, mais dans lesquelles il n'était pas entré". Le lendemain, Crémont et quelques hommes descendent à leur tour le rempart de l'enclos et confirme : "Nous arrivâmes jusqu'aux deux espèces de grottes où je fus curieux d'entrer ; j'y vis des choses tout à fait singulières et rares ; la matière du volcan, dont ces deux grottes sont formées et qui est liquide quand elle se répand, s'était figée et avait pris la forme de goulots de bouteilles diversement configurés". En 1801, Bory de Saint-Vincent décrira longuement les stalactites non identifiées comme telles par Crémont.

Des générations de visiteurs y ont parfois trouvé refuge, dont certains ont laissé leur nom gravé sur les parois, l'inscription la plus ancienne repérée indiquant cette date : 1860.

 

 


 

© François DUBAN 2019