NODOSITES  FIXATRICES  D’AZOTE  DES  FILAOS  

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   Casuarina equisetifolia, C. cunninghamania et C. glauca, sont des arbres tropicaux actinorhiziens de la famille des Casuarinacées qui comprend environ 90 espèces d'arbres et d'arbustes répartis en quatre genres : Casuarina, Allocasuarina, Ceuthostoma et Gymnostoma. En association avec Frankia et des champignons mycorhiziens, les Casuarinacées peuvent croître sur des sols marginaux carencés en azote et en phosphore. La famille des Casuarinacées comprend des essences tropicales, subtropicales ou méditerranéennes, adaptées à différents climats (arides à humides), à différentes altitudes (0 à 3 000 m) et à différents types de sols (acides à alcalins). Elles sont utilisées pour enrichir les sols, fixer les terrains érodés et les dunes mobiles, produire du bois d'oeuvre et de feu, ainsi que de la fibre. Les actinorhizes sont des nodosités fixatrices d'azote qu'on trouve généralement au niveau des racines des plantes angiospermes dites actinorhiziennes. Ces plantes ont la capacité de s'associer avec des bactéries actinomycètes filamenteuses du sol, fixatrices d'azote atmosphérique, du genre Frankia pour produire des actinorhizes. Chez les Casuarina de La Réunion on a observé également des nodules aériens au sein de protubérances sur les troncs.

   Les angiospermes actinorhiziennes sont essentiellement des arbres ou arbustes adaptés aux stress édaphiques comme la salinité élevée, les métaux lourds ou les pH extrêmes. Contrairement à l’unique famille des Fabacées, l’autre groupe de plantes fixatrices d’azote grâce à une symbiose avec des Rhizobium, les plantes nodulées par Frankia sont caractérisées par une large répartition taxonomique. Les espèces actinorhiziennes appartiennent en effet à 4 ordres (FagalesCucurbitalesRosales et Ericales), 8 familles, 24 genres  et environ 260 espèces d’angiospermes dont  les aulnes, des Ericacées, des Myricacées (le myrte des marais, Myrica gale) et des Elaeagnacées (Argousier, olivier de Bohème, Elaeagnus angustifolia). Le caractère actinorhizien est polyphylétique, cette capacité symbiotique serait donc apparue indépendamment plusieurs fois au cours de l'évolution. Les plantes actinorhiziennes possèdent cependant un ancêtre commun relativement proche avec les Fabacées, ce qui se traduit par de nombreuses similarités entre les deux systèmes symbiotiques.  Au moins une partie du programme génétique requis pour ces deux symbioses proviendrait de celui des associations de type mycorhizes arbusculaires, beaucoup plus anciennes et répandues.

 De façon générale, les plantes actinorhiziennes sont dotées d’une capacité à fixer l’azote aussi efficace que celle des légumineuses et, bien que moins connues, elles constituent le deuxième groupe de plantes fixatrices d’azote, dominant dans les écosystèmes pauvres en azote des régions tempérées. Les plantes actinorhiziennes sont pour la plupart des arbres et des arbustes. Leur distribution à travers le globe est très vaste ; on les retrouve en effet sur tous les continents, sauf l’Antarctique. Après les périodes de glaciation, ces plantes ont accéléré l’enrichissement des sols par l’apport l’azote et de matière organique, puis elles ont été remplacées par des plantes non fixatrices plus compétitives. Aujourd’hui, on les retrouve dans des environnements perturbés tels que les sols volcaniques ou les sols miniers, et sur les sols pauvres en azote comme les moraines ou les sols sableux. Les plantes actinorhiziennes sont généralement des espèces pionnières adaptées aux sols pauvres ou perturbés. Elles jouent un rôle important dans la colonisation de ces milieux, en préparant l'établissement d'espèces moins robustes. Leur capacité fixatrice d'azote est importante, elles contribuent au niveau global à fixer une quantité d'azote équivalente à celle fixée par les Fabacées.

 

 

           Insularité-Endémisme-Hétérophyllie

           La Réunion est apparue, au beau milieu de l’océan Indien, à partir de rien, il y a 3  millions d’années, à la suite d’activités volcaniques liées au fonctionnement d’un point chaud. C’est une île océanique et non un morceau détaché d’un  continent. Lorsqu’elle a émergé, elle était entièrement nue et a été colonisée petit à petit grâce aux courants marins, aux vents, aux oiseaux, … Les immigrants ne sont pas « choisis » au hasard. Il en résulte un peuplement disharmonique qui est loin d’être un échantillon aléatoire des faunes et des flores des régions voisines. La flore est constituée de végétaux à spores ou graines légères susceptibles d’être transportées par le vent, ou à graines capables de flotter et de résister à un long séjour dans l’eau de mer, ou d’être transportées par des oiseaux, sur leurs pattes ou leur plumage ou dans leur estomac. Chez les animaux indigènes on n’observe pas de batracien, ni de mammifères terrestres, ni de poissons strictement d’eau douce. D’après le conservatoire botanique de Mascarins, il y aurait 848 espèces de végétaux vasculaires indigènes dont 237 sont endémiques strictes de La Réunion, c’est-à-dire qu’on ne les trouve nulle part ailleurs, et 153 endémiques régionales. C’est dire si La Réunion et les Mascareignes apparaissent comme un véritable laboratoire de l’évolution, du fait de l’effet fondateur et de la dérive génétique. Une particularité des plantes indigènes des Mascareignes est le curieux phénomène de l’hétérophyllie. Dans la liste des végétaux de la forêt des Makes les végétaux hétérophylles sont signalés par un H dans la colonne de droite. Voilà ce qu’en dit Francis Hallé dans son «Eloge de la plante, pour une nouvelle biologie», éditions du Seuil 1999 : « Au cours du développement des plantes, qu’il s’agisse d’une fougère, d’un fenouil, d’un acajou ou d’un frêne, il est habituel que les feuilles de la plantule aient des formes plus simples que celles de l’adulte. Aussi est-il intéressant de constater que la flore des Mascareignes – Maurice, La Réunion, Rodrigues – comporte bon nombre d’espèces chez lesquelles, à l’inverse, la plantule a des feuilles plus complexes que l’adulte. Faute de pouvoir citer la trop longue liste des ces plantes, je me bornerai à noter que ce phénomène concerne des familles qui ne sont nullement apparentées - Moraceae et Malvaceae, Rutaceae et Verbenaceae. Tenter d’expliquer cette complexité des feuilles de jeunesse par une adaptation aux conditions du milieu paraît impossible puisque le phénomène s’observe dans une large gamme de conditions locales, sèches ou franchement humides ; en outre, s’il s’agissait d’adaptations on devrait retrouver les feuilles juvéniles complexes dans d’autres régions aux climats comparables ; mais il n’en est rien, seules les Mascareignes présentent ce type de plantes. Le cas d’une Flacourtiaceae arbustive, Aphloia theiformis, apporte un éclairage nouveau. Cette plante a une aire géographique qui dépasse les Mascareignes et s’étend jusqu’à Madagascar, où elle est connue sous le nom de « thé malgache ». Aphloia theiformis n’a des feuilles juvéniles complexes que dans la zone des Mascareignes. A Madagascar son évolution foliaire est de type banal ; c’est bien une région géographique qui se trouve « touchée » par le phénomène sans que ce dernier possède de valeur adaptative évidente.»  Cette convergence géographique résulterait d’un transfert d’information génétique entre plantes d’espèces différentes, par des voies non sexuelles. Voici, de façon encore hypothétique, comment les choses ont pu se passer. Imaginons que les gènes, a priori nombreux, qui sont responsables de l’hétérophyllie se trouvent groupés sur un même segment chromosomique. On sait que certains virus sont capables de prendre place dans le génome d’un hôte, de se transmettre d’une cellule à l’autre par mitose et d’une génération à l’autre par la voie sexuelle normale. Par un mécanisme d’excision, ces virus peuvent aussi sortir du génome et redevenir des particules infectieuses. A la suite d’une erreur d’excision, la particule virale peut emporter avec elle un fragment de l’ADN de son premier hôte. Il est donc possible de concevoir l’existence d’un virus modifié, comportant l’information nécessaire à la réalisation de l’hétérophyllie. L’introduction de ce virus modifié dans un deuxième hôte implique l’action d’un vecteur. Des champignons du sol, des nématodes, des acariens, des insectes piqueurs de type puceron ou même des plantes parasites comme la cuscute peuvent jouer le rôle de vecteurs entre deux plantes ; et ces dernières peuvent appartenir à des espèces différentes. L’une des propriétés de l’ADN est sa capacité à intégrer presque immédiatement un autre ADN en cas de mise en contact. Une information génétique nouvelle prenant place dans une cellule méristématique se traduit alors par la modification de la plante « infectée » et de sa descendance. C’est ce que l’on appelle le transfert horizontal de gènes et c’est ainsi que l’hétérophyllie se serait répandue parmi les plantes des Mascareignes sans se soucier des limites systématiques qui les séparent. Il s’agirait d’un mécanisme évolutif original (d’après Francis Hallé dans « l’éloge de la plante, pour une nouvelle biologie » éditions du Seuil 1999).

 

 

           Fragilité des milieux insulaires

           Dans les îles océaniques on estime que l’envahissement par les plantes exotiques est la deuxième cause de perte de biodiversité après la destruction des milieux naturels. Pourquoi ces îles sont-elles si fragiles face aux introductions ? On comprend que plus l’île est jeune, moins son peuplement est achevé et plus il y a encore des niches écologiques disponibles pour des espèces nouvelles venues. De plus les êtres vivants déjà installés ne sont pas les plus adaptés ni les seuls à être aptes aux conditions qu’ils ont trouvées. Simplement ils n’étaient pas inadaptés. Il n’y a pas eu de développement de mécanismes de défense. On parle d’espèces «naïves». De plus, du fait de l’effet fondateur et de la dérive génétique, elles ont un patrimoine génétique très appauvri et sont menacées par la consanguinité, l’homozygotie. C’est ainsi que les espèces introduites des continents se montrent beaucoup plus compétitives et, paradoxalement, bien que récemment arrivées dans les divers biotopes de La Réunion, elles vont éliminer facilement les indigènes, installés depuis plus longtemps. Si La Réunion fait figure d’exception parmi les îles océaniques tropicales en ayant conservé  30 % de sa forêt primaire, elle est en bonne position aussi pour le nombre des introductions : au moins 5000 espèces de plantes vasculaires ! Dans la liste des végétaux de la forêt des Makes on en compte 10 dans la liste jointe ce qui est beaucoup pour une forêt pédagogique, parcourue et entretenue par les agents de l’O.N.F. En effet, parmi elles, certaines se sont  naturalisées et parmi ces dernières certaines sont envahissantes. Ce sont les E.E.E., espèces exotiques envahissantes.  Beaucoup de ces E.E.E. ont été introduites volontairement comme plantes alimentaires (goyavier, passiflore), ornementales (surtout) (longose, Crocosmia, Impatiens) ou médicinales (jouvence) et se sont échappées des jardins. Comme elles sont utiles ou esthétiques, dans l’esprit de la population, leur danger pour l’environnement n’est pas clairement perçu.

 

           Les plantes épiphytes

           Une plante épiphyte est « une plante vivant sur la surface d’autres végétaux dont elle ne se sert que comme support mécanique, sans en être parasite » (A. Marouf, 2000).   Les épiphytes sont considérés comme un type biologique à part entière à l’instar des arbres, des arbustes, des lianes ou des herbes. Ils occupent une niche écologique importante puisqu’ils peuvent représenter jusqu’à 50% de la biomasse et de la diversité dans une forêt tropicale. Ils sont plus communs dans les forêts tropicales humides que dans les forêts de régions tempérées. Dans les régions tempérées, les épiphytes sont surtout représentés par des mousses et des lichens alors que dans les zones tropicales humides on trouve plus de plantes vasculaires (Fougères, Orchidées,  Liliacées, Pipéracées, Broméliacées en Amérique tropicale, etc…). Les épiphytes vivent fixés sur les troncs et les rameaux de plantes support. Situés parfois à plusieurs mètres du sol, ils n’ont aucun contact avec le sol forestier. Leurs besoins en eau et en substances nutritives sont assurés par les condensations atmosphériques et le ruissellement des pluies sur les branches et les troncs. La répartition des épiphytes sur l’arbre hôte dépend notamment de la densité de la canopée, de l’humidité du sous-bois, de la rugosité du support et de la compétition avec les autres espèces. Les épiphytes vasculaires sont peu nombreux en milieu tempéré car l’hiver est une saison physiologiquement sèche.   Les contraintes liées à la vie aérienne (fixation au support, absence de sol capable de fournir eau et substances nutritives) entraînent des adaptations. Certaines espèces possèdent des feuilles disposées en rosette ou en nid (Asplenium nidus) ou en forme de gouttière (Angraecum) qui recueillent les précipitations et conservent les débris organiques, à l’origine de leur alimentation minérale. Les racines aériennes de certaines orchidées sont entourées d’un manchon de cellules mortes : le velamen ou voile. Celui-ci fait office de véritable capteur-réservoir. Tel une éponge, il se gorge d’eau à la moindre pluie ou condensation de rosée. Chez les orchidées ti-caramboles (Bulbophyllum), la base des feuilles est renflée et constitue un pseudobulbe capable lui aussi de stocker une certaine quantité d’eau. Graines d’orchidées et spores de fougères sont dispersées par le vent grâce à leur petite taille et permettent ainsi la colonisation des plantes supports. En 1977, Thérésien Cadet (La végétation de l’île de La Réunion, étude phytoécologique et phytosociologique) a comparé la structure d’une forêt équatoriale de Côte d’Ivoire (forêt tropicale continentale) et la forêt tropicale humide de La Réunion (forêt tropicale insulaire). Il y a une relative pauvreté spécifique des herbacées de sous-bois dans les deux régions : les grands arbres forment une canopée dense, la lumière a du mal à pénétrer jusqu’au sol, la matière organique se décompose très rapidement en raison des fortes températures et du fort taux d’humidité, ainsi les petites plantes vasculaires terrestres sont peu nombreuses. Le caractère le plus frappant, c’est la grande richesse en épiphytes de la forêt réunionnaise (33%) alors que pour la Côte d’Ivoire cette richesse n’est que de 17%. A La Réunion, le groupe des épiphytes a une forte représentation numérique. Ce sont essentiellement des fougères : Hymenophyllum, Trichomanes, etc… (52% des espèces) et des Orchidacées : Angraecum, Jumellea, Bulbophyllum, etc, … (36%). Les épiphytes ligneux sont exceptionnels. Quelques arbustes (Stoebe, Hubertia, Psiadia), à la faveur d’une accumulation d’humus, peuvent s’installer sur les troncs mais ce n’est pas leur habitat normal. Seuls Cordyline mauritiana et Medinilla loranthoides sont de vrais épiphytes ligneux. On remarque que le longose exotique, originaire de l’Himalaya a adopté ce comportement. Dans son cas, ses graines rouges, très attractives pour les oiseaux sont dispersées par les « merles pays » endémiques et les martins exotiques.

 

 

 

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