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La forêt de Notre-Dame de la Paix

   

            D’après Sentiers botaniques à l’île de La Réunion, Yves BUSCAIL et Roger LAVERGNE, ORPHIE, 2010

 Il est presque miracle qu’une « Forêt de Bois de Couleurs des Hauts », sise sur le flanc Ouest du Piton de la Fournaise entre 1300 et 1700 m d’altitude n’ait pas été anéantie par un défrichage intempestif et la voracité des feux anthropiques. Un panneau nous indiquera que sur 192 hectares, 170 ha concernent la « forêt naturelle […] en cours de restauration écologique », 15 ha ont été l’objet de reboisement en Cryptomérias (Cryptomeria japonica) mais sont « en voie de transformation en Bois de Couleurs », 7 ha ayant été voués à un repeuplement en Tamarin des Hauts (Acacia heterophylla) et divers Bois de Couleurs. La forêt de Notre-Dame de la Paix fait désormais partie du coeur naturel du Parc National de la Réunion.

            Il est clair que l’Office National des Forêts se préoccupe désormais de la lutte contre les plantes exotiques envahissantes et redonne la priorité, en matière de reboisement, aux espèces endémiques ou indigènes. Fini le Cryptoméria roi.

            On peut observer :

            * un  Acacia à phyllodes,  Acacia heterophylla,  Tamarin des Hauts, et, à côté, derrière des Bringelliers marrons (Solanum mauritianum = S. auriculatum), arbrisseaux à grandes feuilles tomenteuses, apparaît le vert sombre d’une Cryptomériaie.

            * une touffe buissonnante d’Ajonc d’Europe (Ulex europaeus) qui  présente entre ses rameaux épineux de nombreuses fleurs jaunes et odorantes. L’Herbe Caroline ou Plantain lancéolé (Plantago lanceolata) nous rappelle aussi la flore métropolitaine, ainsi que diverses Poacées (ex Graminées) : le Paturin annuel (Poa annua), la Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum), la Houlque laineuse (Holcus lanatus). Quant à la Marguerite folle (Erigeron karvinskianus), Astéracée (ex Composée).

            * Une fougère terrestre : Polystichum ammifolium,  indigène de la Réunion, Maurice et Madagascar ?

            * Des Hortensias (Hydrangea macrophylla), plante sous-ligneuse ornementale rapportée jadis en Mascareignes par Philibert Commerson.

            * Des  Mahots, on peut remarquer que le long pétiole des feuilles porte des poils, le bord du  limbe, des cils, que la base est cordée et le sommet acuminé (en pointe) : ces Mahots encore au stade arbuste sont sans doute des Dombeya pilosa.

            * Diverses plantes : Fraise de l’eau, Jonc, Arum…attachées à une petite ravine. Quelques rosettes foliaires de Digitale pourpre (Digitalis purpurea) ou de fausse Chicorée (Hypochoeris radicata) .

           * Un gros Bois maigre, Loganiacée à feuilles disposées par trois au même niveau de chaque rameau, donc verticillées  (Nuxia verticillata), un Bois de Nèfles à petites feuilles opposées, un peu plus grosses au stade adulte que des feuilles de Buis, un Mapou (Monimia sp.) ; Monimia ovalifolia ou Monimia rotundifolia ?

 Du belvédère, on peut observer la vallée de la Rivière des Remparts : au fond,  à gauche, l’îlet de Roche Plate, à droite, le Bras de Mahavel lieu de la catastrophe du 6 mai 1965.  

Sur le panneau ombragé par un gros Bois d’Oiseaux (Claoxylon glandulosum), des dessins : un Tan rouge, un Mahot, un Mapou, un  Bois de Laurent Martin,  la Fougère ficelle, une Orchidée Ti Carambole,  la Fougère Langue de Bœuf,  la Liane Marabit,  la Marguerite folle,  l’Arum.

§ Des espèces envahissantes : la Marguerite folle ou Mère de famille nombreuse, avec Mexique comme lieu d’origine, et, la Fraise de l’o (de l’eau) ou Fraise Crapaud (Duchesnea indica), originaire des montagnes de l’Asie du Sud-Est, petite Rosacée à fleurs jaunes et à fruits spongieux, aussi écarlates qu’insipides.

 

NB : déséquilibrée et affaiblie, la forêt  dégradée est très vite envahie par les plantes dites exotiques (introduites par l’Homme).Des espèces exotiques et envahissantes : l’Ajonc épineux (Ulex europaeus), Fabacée (ex Papilionacée). Les graines ont un long pouvoir de germination !  Dans ces zones de pleine lumière, l’Ajonc venu d’Europe est très dynamique ; il a fait l’objet d’une éradication laissant le sol se couvrir de Graminées (Flouve odorante et Kikuyu), elles aussi exotiques. Il n’est pas la seule peste végétale à menacer cette forêt : le Bringellier et le Fuchsia, originaires d’Amérique du Sud, la Vigne marronne provenant de l’Asie du Sud Est restent à l’affût pour s’installer. Une lutte permanente est organisée pour freiner l’invasion de ces plantes .

 

    * Le Bois de Laurent Martin (Forgesia racemosa, ex F. borbonica) qui n’existe qu’à la Réunion (ex Bourbon) est endémique de notre seule île. Cordyline mauritiana est notre Canne marronne, endémique de Maurice (mauritiana ) et de la Réunion, belle Liliacée à feuilles en éventail, tantôt rencontrée sur le sol, tantôt perchée sur un arbre.  Le Fanjan mâle bien qu’appelé Cyathea borbonica est indigène pour notre île car il appartient aussi à la végétation originelle de Madagascar et de Maurice.

™ Nous voilà entre « ombres et lumière », entre plantes « sciaphiles » et plantes « héliophiles ». NB : les plantes ombrophiles recherchent la pluie !

 Tans rouges, Mahots, Mapous, Fougères arborescentes…, s’installent en cimes. Bois d’Oiseaux, Bois de joli cœur, Bois de corail, Bois de Négresse, Fougères épiphytes et terrestres rechercheront une lumière plus tamisée .

§ Le Change écorce ou Goyave marron (Aphloia theiformis), rencontrée en Mascareignes, mais aussi à Madagascar et en Afrique, cette Flacourtiacée n’est pas endémique mais indigène. Quant à Claoxylon glandulosum, le Gros Bois d’Oiseaux n’existant qu’à la Réunion, il est endémique de notre île.

§ Pour le Bois de joli cœur réunionnais, à marges foliaires ondulées et à odeur de Mangue Carotte quand on froisse ses feuilles, il s’agit de la sous-espèce Pittosporum senacia subsp. senacia, endémique de la Réunion et de Maurice.

§ Nos trois Fougères arborescentes ou Fanjans se distinguent d’abord par leurs stipes ou troncs. Le Fanjan mâle ou  Cyathea borbonica a un stipe grêle où se dessinent les cicatrices foliaires ; ses frondes ou feuilles sont bipennées, donc ont un limbe divisé deux fois. Cyathea glauca et Cyathea excelsa sont appelés Fanjans femelles ; leurs stipes sont larges car encore revêtus par les bases foliaires persistantes ; leurs feuilles sont tripennées donc à limbe découpé trois fois. On pourrait confondre ces deux Fanjans femelles que l’on pourra néanmoins essayer de distinguer puisqu’ils cohabitent. Chez Cyathea glauca, le pétiole porte un duvet roux, alors que les derniers segments du limbe sont plus ou moins relevés pour dessiner un V très ouvert. Par contre, chez Cyathea excelsa, le pétiole est presque nu, la face supérieure du limbe à peu près plane. Cyathea glauca est endémique de la Réunion, Cyathea excelsa  est lui endémique des Mascareignes.

Nous y rencontrions diverses plantes hygrophiles. La plus rare est sans doute le Carex boryana,  Cypéracée indigène puisque rencontrée aussi à Maurice et Madagascar. La plus commune est le Jonc (Juncus effusus), Joncacée indigène à vaste répartition puisque présente à Madagascar, en Afrique et en Europe. Il est superbe l’Arum (Zantedeschia aethiopica), Aracée Sud Africaine qui épanouit ses spathes ou cornets blancs de juillet à octobre. Son spadice ou axe floral central est généralement producteur de nombreuses baies consommées par des oiseaux forestiers. De ce fait, cette merveilleuse plante ornementale est devenue envahissante.

§ Le Persil marron (Pilea urticifolia = P. rupipendia) est une Urticacée endémique de la Réunion, curieusement aromatique.

§ La Flacourtiacée Aphloia theiformis   (change écorce ou goyave marron) 

§ Le Bois de fleurs jaunes de forêt (à feuilles à nervures pennées), il s’agit de Hypericum lanceolatum sous espèce lanceolatum, taxon semble-t-il moins efficace en tisanerie populaire que Hypericum lanceolatum subsp. angustifolium (à feuilles à nervures subparallèles), le Fleur jaune rencontré au-dessus la forêt fermée. La famille des Hypéricacées étant désormais incluse dans celle des Clusiacées, ex Guttifères.

§ La Canne marronne Cordyline mauritiana produit une imposante inflorescence terminale blanche qui sera suivie de petits fruits noirs luisants.

§ Après un Carex, voici une Fougère terrestre dédiée au Botaniste Bory de Saint Vincent. Il s’agit d’Antrophyum boryanum, végétal terrestre en forme de spatule connue dans le langage populaire comme étant la Langue de Bœuf ou Langue de Vache.

Des épiphytes : des Fougères, des  Mousses, de l’Ananas marron (la Liliacée Astelia hemichrysa, endémique à la Réunion et à Maurice), du Pourpier marron (sans doute Peperomia elliptica, une herbe charnue de la famille des Pipéracées, donc des vrais Poivriers, et non pas de la famille des Portulacacées ou Pourpiers).

™ Chaque formation végétale est en soit un écosystème, une « communauté végétale » qui connaît depuis des millénaires « une coexistence harmonieuse ».

Certaines plantes d’ombre deviendront tout au plus des arbrisseaux. C’est le cas du Ti Bois de corail (Chassalia gaertneroides), Rubiacée pourvue de courts axes inflorentiels qui n’auront pas vraiment l’aspect de polypiers branchus blanchis comme chez le Bois de corail (Chassalia corallioides) ; c’est aussi vrai pour Phyllanthus phillyreifolius, Euphorbiacée étiquetée Bois de Négresse  ou Bois de ravine.

 Les Bois d’Oiseaux feront aussi partie de la strate arbustive. Par contre, Tans rouges (Weinmannia tinctoria), Mahots, Fanjans, Mapous…sont des candidats pour la strate arborée. Eux seuls constitueront la canopée ou sommet ensoleillé de la forêt. On remarquera que de jeunes Tans rouges sont souvent épiphytes sur le stipe des Fanjans. Les Fougères arborescentes seraient-elles indispensables à leur germination ? Ils ont des feuilles imparipennées vraiment faciles à reconnaître car elles seules possèdent un rachis ailé, le rachis étant l’axe sur lequel se rattachent les folioles. Lorsque la fougère arborescente, surchargée par le poids de ses épiphytes devenus trop importants, s'écroulera, on remarquera des tans rouges curieusement disposés en ligne.

* Le Bois maigre : Nuxia verticillata, Loganiacée (Réunion, Maurice).

§ Le Bois de Raisin des Hauts (Bertiera rufa), doit son nom vernaculaire au fait qu’à maturité, on pourrait avoir l’illusion de rencontrer en pleine forêt des grappes dues à la Vigne (Vitis vinifera), bien que les feuilles soient très différentes. En effet, les infrutescences sont aussi des grappes porteuses de baies bleutées. C’est une plante de la famille végétale des Rubiacées (Rubia peregrina et Rubia tinctoria) vaste famille à laquelle appartiennent notre Petit Bois de corail, les Caféiers (Coffea spp.), les Quinquinas (Cinchona spp.),…etc.

§ La Fougère ficelle :Vittaria isoetifolia.

§ Monimia rotundifolia, arbre endémique de la Réunion est un de nos trois Mapous. Quand on manipule ses feuilles on a l’impression de toucher du carton. La face inférieure du limbe porte un indument, donc une courte pilosité blanchâtre ou jaune pâle.

§ Embelia angustifolia, la Liane savon, Myrsinacée endémique de la Réunion et de Maurice,

§ Le Natte coudine est aussi appelé le Bois de fer bâtard des Hauts (Sideroxylon borbonicum var. borbonicum, endémique de notre île. Il appartient à la famille des Sapotacées surtout connue dans le monde cosmétique par le Karité ou Butyrospermum parkii, arbre africain dont on exploite un « beurre végétal » extrait des graines. Notre Grand Natte (Mimusops maxima) est notre seule Sapotacée endémique pourvue de graines suffisamment grosses pour que l’on puisse un jour espérer leur vouer un rôle dans le domaine des soins de la peau et des cheveux.

*Des lianes :

-          La Liane Patte Poule (à piquants: ce Toddalia asiatica est une Rutacée indigène des Mascareignes, de l’Inde, d’Afrique.

-      Clematis mauritiana est notre Liane arabique ou Liane marabit : Renonculacée indigène de la Réunion et de Maurice. Quand elle fleurit, dépourvue de pétales comme toutes les Clématites elle a cependant de jolis sépales blancs et roses. Elle est l’une des 250 espèces de la flore mondiale, toutes porteuses d’akènes ou petits fruits secs indéhiscents surmontés par un long style plumeux.  

-      La « Tit » Liane blanche, Humbertacalia tomentosa, est une Astéracée indigène de la Réunion et de Madagascar. Au revers de ses feuilles il y a un tomentum blanc. Il faudra attendre la saison chaude pour voir cette liane subligneuse fleurir et nous offrir de petits capitules munis de quelques fleurons jaunâtres.

             -La liane crocs de Chien : Smilax anceps.


            § Votre regard se portera sans doute sur un très gros pied de Bois de Laurent Martin ou faux Bois de rose, présentant au niveau de son tronc à quelques mètres du sol une sorte de « genoux », un gros bourrelet initiant une croissance dans une autre direction, accident végétatif dû à un accident mécanique ayant eu lieu probablement à l’occasion d’un cyclone.

            Ce Forgesia racemosa (ex F. borbonica) est une Escalloniacée endémique de la Réunion.

§ Erica arborescens (ex Philippia arborescens) est le Branle Filao, le mot créole Branle dérivant du français Brande qui désigne une Bruyère, mot lui même issu du latin médiéval Banda. Alors que le Brande vert, Erica reunionnensis (ex Philippia montana) a des rameaux feuillés érigés, à port plus ou moins rigide, les ramules du Branle Filao sont divaguantes, assez échevelées.

Retenir le nom d’Ambaville pour désigner Faujasia salicifolia n’est pas légitime même si l’on se réfère à l’ouvrage historique de Bory de Saint-Vincent intitulé Voyages dans les quatre principales îles des mers d’Afrique (1804). En effet Bory écrit : « Les Créoles confondent les Hubertes, les Millepertuis, les Bruyères, les Armoselles [passerinoïdes = branles blancs], sous le nom d’Ambavilles des Hauts. Nous adopterons désormais cette dénomination pour désigner collectivement tous ces végétaux à la fois ». Nous sommes là au royaume des confusions. Il nous semble opportun de restreindre ces termes aux seules Hubertes de Bory de Saint-Vincent, dont le plus représentatif est actuellement l’Ambaville verte (Hubertia ambavilla).

Faujasia salicifolia a longtemps été appelé Senecio salicifolius. Je ne l’ai jamais entendu être désigné par un nom propre au génie réunionnais, sinon par Marguerite jaune pour évoquer ses nombreux capitules jaune d’or. Je me suis donc référé à l’étymologie des Séneçons formés à partir des noms latins senescere (=vieillir) ou senex(=la vieillesse), et, dans la mesure où il faut faire quelques efforts pour aller rencontrer cette belle Asréracée endémique de La Réunion, j’ai baptisé cette grande herbe sous-ligneuse Chasse Vieillesse, nom composé qui figure déjà dans le guide naturaliste Forêt de Bébour édité par l’ONF. Il faut bien un jour créer un nom commun pour désigner un végétal ou un animal. Si quelqu’un trouve un nom plus satisfaisant, nous sommes preneurs.

Il nous est arrivé de prendre dans les hauts de Petite-Ile un sentier qui grimpe en direction de Notre-Dame de la Paix. Nous avons été effarés par la dégradation, donc par le saccage de notre végétation indigène dont il ne reste plus que des lambeaux. C’est donc un bonheur d’avoir encore, à 60 ans ou plus, les yeux émerveillés d’un « marmaille » (d’un enfant). Se promener dans une forêt enchantée sur un sentier savant est une chance. Etre en silence associé aux secrets de la forêt est une réelle jouissance, même si nous n’avons pas profité du charme inégalable d’une tamarinaie ! 

 

      D’après Sentiers botaniques à l’île de La Réunion, Yves BUSCAIL et Roger LAVERGNE, ORPHIE, 2010

 

 

 

 

© François DUBAN 2011