SURPRENANT LEZARD DE MANAPANY

SURPRENANT LEZARD DE MANAPANY

S'émerveiller, connaître et protéger le lézard vert de Manapany


Des animaux emblématiques de la Réunion

   Tout le monde connaît ou plutôt croit connaître ces petits animaux adoptés par Effet péi, collés sur bon nombre de véhicules à La Réunion et ornant quantité de souvenirs pour touristes.

   Ce sont des lézards à doigts et orteils munis de lamelles couvertes de soies ou sétules de kératine (5000 par mm2) à leur face externe. Celles-ci sont ramifiées, à leur extrémité, en poils encore plus fins, de 0,2 à 0,5 micromètres de diamètre, comme écrasés au bout, au nombre de 2 milliards. Tous ces poils vont réagir avec le support à l’échelle moléculaire par l’intermédiaire de forces de Van der Waals, liaison de faible intensité1. En changeant l’inclinaison de ces poils, le lézard peut rompre ces liaisons et décoller sa patte. Ces structures lui permettent d’adhérer fortement au support et de vaincre la pesanteur. Elles pourraient supporter jusqu’à 4 kg !

   Ils appartiennent à la famille des geckos, grande famille qui compte plus de 90 genres et plus de 800 espèces dont beaucoup sont capables d’émettre des sons. On distingue habituellement les geckos nocturnes de couleur neutre et à pupille verticale des geckos diurnes, vert vif et à pupille ronde. Dans nos maisons, à La Réunion, nous connaissons bien les margouillats et les geckos gris, nocturnes, tous introduits de Madagascar ou d’Asie.

   Le genre qui nous intéresse est le genre Phelsuma, diurne, vert vif, à lamelles non divisées et sans griffes. Ce genre compte une quarantaine d’espèces propres à l’océan Indien2. Une moitié est présente à Madagascar qui est le berceau génétique du genre. Une espèce, P. andamanensis , atteint à l’ouest les îles Andaman et à l’est la Thaïlande. P. ocellata est endémique de l’Afrique australe continentale et montre la répartition la plus occidentale du genre. P. parkeri est endémique de l’île de Pemba. Les Seychelles granitiques hébergent deux espèces endémiques, les Comores en abritent quatre comme Maurice et La Réunion deux. Les deux espèces endémiques réunionnaises sont P. inexpectata et P. borbonica. La première ne dépasse pas 13 cm de long. Elle occupe une toute petite zone du littoral de 10 km de long, de Grande Anse à la rivière Langevin. C’est le lézard de Manapany. La deuxième peut atteindre 17 cm de long et se trouve dans différents types de forêts indigènes plus ou moins humides jusqu’à 1300 m d’altitude. Ces lézards ont été remarqués très tôt par les naturalistes qui n’en faisaient qu’une seule espèce, d’ailleurs la même que P. cepediana de Maurice. Bory de Saint-Vincent3 note en 1801 : « Il y a trois espèces de lézards dont les habitations sont remplies bien distinctes. La première est du vert le plus beau, jaspée ou tachetée du rouge le plus éclatant : elle se tient sur les vacoas au soleil ». La première illustration d’un Phelsuma, sans

1    Autumn, Kellar, et al., Adhesive force of a single gecko foot-hair, Nature, 405 (2000) 681-6. 

2    Mellerin, Geoffrey, Contribution à l’étude des Geckos diurnes du genre Phelsuma, entretien et pathologie, Toulouse, 2011.85.

 3    Bory de Saint-Vincent, J.B.G.M., Voyage dans les quatre principales îles des mers d’Afrique, tome III, pp. 158-9.

doute mauricien, semble avoir été faite par une aquarelle sur vélin de Charles Alexandre Lesueur, dessinateur de l’expédition Baudin vers la Nouvelle-Hollande (que Bory de Saint-Vincent a abandonnée à Maurice). Betting de Lancastel4, en 1827, écrit : The lézard vert, 4 to 5 inches long, speckled with black and red spots on the back with some horizontal black band on grey-green ground. The underparts are of a more tender and uniform green”. Alors qu’il préparait une monographie sur les lézards des Mascareignes, Jean Vinson5 envoya des spécimens de La Réunion au professeur Robert Mertens6 en Allemagne. Celui-ci montra, en 1966 seulement, qu’ils étaient non seulement différents de P. cepediana7de Maurice avec lequel ils étaient traditionnellement confondus mais qu’ils appartenaient à deux espèces différentes : P. borbonica8, logiquement, pour un lézard endémique de La Réunion et P. inexpectata, c’est-à-dire inattendu car c’était une surprise !

   A peine découverte, du fait de son aire de répartition exceptionnellement réduite, l’espèce a été considérée comme menacée. Elle fait l’objet du décret ministériel du 17 février 1989 qui donne la liste des espèces protégées de La Réunion. Destruction et enlèvement des œufs, destruction, mutilation, capture, enlèvement, naturalisation, colportage, utilisation, mise en vente ou achat d’individus vivants ou morts sont interdits sur tout le territoire de La Réunion. Croyez-vous qu’elle est protégée pour autant ? Non : l’arrêté en question protège  de façon surprenante P. ornata, un gecko mauricien, même dans la version consolidée du 14 février 2008 ! Quelqu’un qui capture un lézard de Manapany, Phelsuma inexpectata, n’est donc pas en infraction. En 2010 il apparaît sur la liste rouge de l’UICN comme en danger critique. A la suite de cela est paru le Plan National d’Actions en faveur du gecko vert de Manapany.

   Avec ses deux espèces de Phelsuma endémiques, La Réunion apparaît comme un laboratoire de l’évolution. Deux lézards verts mauriciens, P. ornata et P. cepediana sont arrivés naturellement dans l’île et ont évolué sur place pour y donner deux espèces nouvelles, respectivement P. inexpectata et P. borbonica : par effet fondateur (l’espèce qui arrive est d’emblée différente de l’espèce d’origine car elle n’en possède pas tous les gènes) et par dérive génétique (une fois installée, l’espèce va encore perdre certains gènes de l’espèce d’origine et en acquérir d’autres par mutations). Les geckos verts sont probablement arrivés en radeau, à l’état d’œufs. Ceux-ci ont une incubation qui dure, selon les espèces, la température mais aussi les auteurs ( !), de 1 à 4 mois (une observation régulière d’œufs est à faire dans les jardins !). Les œufs sont pondus et collés dans des trous d’arbres, sous les écorces. Leur coquille est dure et leur permet de résister à la dessication.

4    Betting de Lancastel, Statistiques de l’Ile Bourbon, présenté en exécution de l’article 110428 de l’ordonnance royale du 21 août 1825, 1827.

5     Jean et Jean-Michel Vinson, The saurian fauna of the Mascarene islands, Bull. Maurit. Inst. 6(4) 203-320, 1969.

6    Mertens, Robert, Die nichtmadagassischen Arten und Unterarten der Geckonengattung Phelsuma. Senckenbergiana Biologica, vol. 47, p. 85-110, 1966.

7    cepediana : dédié à Bernard de Laville, comte de Lacépède (1756-1825), zoologiste ami de Buffon par Milbert, Voyage pittoresque à l’île de France, au cap de Bonne Espérance et à l’île de Ténériffe, tomes I et II, atlas, Nepveu, Paris,1812.(Milbert était également dessinateur de l’expédition Baudin).

8    borbonica : de Bourbon, ancien nom de La Réunion, d’où le nom complet de ce lézard  Phelsuma borbonica Mertens 1942.

… qui nous réservent encore bien des surprises…

   Les lézards sont plus connus pour gober moustiques, mouches et autres insectes que pour être végétariens. Et pourtant, bien qu’étant principalement carnivores, nombre de lézards incluent dans leur régime alimentaire des aliments d’origine végétale tels que pollen, nectar, jus et pulpe de fruits. Ce phénomène est plus marqué dans les îles que sur les continents. Chacun, dans son jardin pourra l’observer et en apporter la preuve par la photo. Pourquoi une différence de régime alimentaire dans les îles ? Prenons le cas d’un lézard insectivore qui débarque dans une île jeune comme La Réunion. Les insectes y sont relativement sous-représentés. En revanche, une grande quantité de fleurs produisent du nectar qui attire les insectes. Pour peu que les insectes en question soient absents ou peu nombreux, du nectar non consommé est disponible pour les lézards et d’autres espèces. Ainsi les lézards auront tout le loisir, au cours de leur recherche de nourriture, d’y goûter et même d’y prendre goût. De tels phénomènes ont été observés dans de nombreuses îles telles que la Nouvelle-Zélande, les Baléares, une île de Croatie et bien sûr les Mascareignes9. C’est tout à fait intéressant et dommage que ça n’ait pas été souligné sur le panneau du sentier de découverte du gecko vert de Manapany.

   Plus étonnant encore de la part de ce petit animal : nous avons observé en mai 2012 que certains d’entre eux volaient aux abeilles leur pelote de pollen. Cette observation était non seulement inédite mais en contradiction avec ce qu’affirme le Plan National d’Actions pour la Protection et la Conservation du Gecko Vert de Manapany10. Cette observation d’amateurs a été validée par la suite par un article universitaire publié en mai 201311.Nous avons cru voir nous aussi, au début, qu’ils mangeaient effectivement des abeilles mais en regardant plus attentivement nos photos nous avons vu qu’il s’agissait d’insectes mimétiques d’abeilles : Syrphidés et Empididés. Si ce mimétisme peut abuser les observateurs, il ne trompe pas le petit lézard vert de Manapany. Même lorsqu’il se trouve au milieu d’un nuage de centaines d’abeilles, il va détecter le seul insecte inoffensif présent et le capturer. Nous lançons un appel pour voir, enfin, une photo d’abeille mangée par un Phelsuma ! A vos appareils photo ! En attendant cette preuve, que les apiculteurs ne s’en prennent surtout pas à ces petits lézards protégés, accusés injustement. Ils ne font que prélever une pelote de pollen de temps en temps. Leur intérêt n’est pas de tuer les abeilles au risque de se faire piquer mortellement.

   La connaissance de leur régime alimentaire peut être complétée par l’observation au microscope du contenu de leurs crottes. Elles ressemblent à celles des geckos de nos maisons avec une partie blanche qui est de l’urine déshydratée. C’est la partie brune qui peut être dilacérée dans un peu d’eau et observée au microscope. Voilà un travail qui peut être fait dans le cadre scolaire et qui sera riche d’enseignements. A l’île Maurice on y a trouvé de petites graines et on a pu montrer que des Phelsuma contribuaient à les disperser12.

   Les lataniers rouges, palmiers endémiques de La Réunion, plantés en 1989, il y a 24 ans, sur le boulevard de front de mer de Manapany, sont un lieu d’observation privilégié malgré l’environnement urbanisé et la circulation incessante des véhicules. Les Phelsuma fréquentent aussi bien les fleurs mâles qui leur offrent du pollen riche en protéines et du nectar riche en sucre que les fleurs femelles qui offrent des exsudations également attractives. Les lataniers sont dioïques : il

 9    internet : Les lézards aussi sont des pollinisateurs, 15-11-2008.

10  « abeilles (Apis mellifera) largement consommées », Sanchez et al., 2009.Plan national d’actions en faveur du gecko vert de Manapany Phelsuma inexpectata, 2012-2016, 2009, p.18.

11 Johanna Clémencet, Cyril Aubert, Doriane Blottièreand Mickaël Sanchez, Kleptoparasitism in the endemic gecko Phelsuma inexpectata : pollen theft from foraging honeybees on Réunion, Journal of Ttropical

pp.70-71. Ecology, volume 29, Issue 03, May 2013, pp 251-254.

12    Corbara, Bruno, Un gecko insulaire pollinisateur et disperseur de graines, Espèces n°2 décembre 2011. pp.70-71.

existe des pieds mâles et des pieds femelles qui n’ont pas fleuri en même temps en 2012 et en 2013. Il n’est pas évident que les Phelsuma pollinisent les lataniers contrairement à ce qui est affirmé dans la littérature scientifique13. Pour cela il faudrait qu’ils transportent du pollen d’un pied mâle sur les fleurs d’un pied femelle. A part un jeune individu observé sur une épine du Christ, dont le pollen est peut-être spécialement collant, nous n’avons jamais vu de lézard vert barbouillé de pollen. Leur peau, bien que recouverte d’écailles, est bien lisse par rapport aux poils des abeilles ou aux plumes des oiseaux blancs qui sont effectivement des pollinisateurs. Le pollen serait-il transporté dans les crottes ? Voilà peut-être encore un futur scoop !

  

Nous avons observé le lézard vert de Manapany sur les fleurs de manioc bord de mer, de raisin bord de mer, de palmiste. Des auteurs14 ont cité 12 espèces indigènes exploitées dont 7 endémiques. Il exploite également les plantes exotiques comme le raisin bord de mer, le cocotier, le bananier, les héliconias, l’épine du Christ et sans doute beaucoup d’autres plantes de nos jardins a priori tout aussi énergétiques que les plantes indigènes. Le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris a lancé un programme d’observation des insectes pollinisateurs des fleurs des jardins. Pourquoi ne pas lancer une opération similaire : quelles fleurs de nos jardins visite le gecko vert de Manapany ? Voilà une galerie de belles photos en perspective !

  

A Manapany nous avons également observé P. inexpectata lécher les réceptacles de Pandanus utilis, le vacoa. Il est recouvert d’une pulpe sucrée qui attire en outre abeilles, guêpes, bébêtes l’argent, mouches, papillons, fourmis… Le syncarpe du vacoa laisse libère à maturité les drupes qui tombent au sol et apparaît le réceptacle d’un beau jaune. Les Phelsuma semblent attirés par ces « cibles » colorées. Des expériences ont été faites avec des « nectars » colorés ou non dans des fleurs artificielles14. Elles ont montré que ces lézards sont sensibles aux couleurs. Cette gourmandise pour les jus sucrés et colorés est malheureusement exploitée par le « Margouillator » qui devrait être proscrit à Manapany ainsi d’ailleurs que la « colle-rat ».

  

Une question se pose : quel intérêt retirent les vacoas à attirer les lézards verts lorsque les drupes sont déjà à maturité ? Est-ce simplement une façon de les fidéliser ? Ils apprécient beaucoup les cachettes que leur procurent les feuilles imbriquées. Les lézards verts les protègent-ils de certains insectes ?

   Les exsudations sucrées des fleurs femelles de lataniers attirent les lézards verts. Cela en favorise a priori la pollinisation mais nous avons remarqué que les Phelsuma ne se poudrent pas de pollen. On peut supposer que les Phelsuma les débarrassent éventuellement d’insectes nuisibles au développement du fruit en les capturant et aussi peut-être de moisissures en léchant les futurs fruits.

  

Les Geckos verts ont un moyen de se défendre de leurs prédateurs (chat, chien, rat, musaraigne, agame, caméléon, couleuvre, oiseaux, collectionneurs, …) : l’autotomie. Leur queue possède à sa base une zone de fragilité et peut se casser facilement à ce niveau. Détachée, elle continue à se tortiller pendant un certain temps, ce qui détourne l’attention du prédateur. Elle repoussera ensuite. Des photos de prédation seraient également intéressantes, surtout par l’oiseau vert qui ne doit pas être fréquent à Manapany-les-Bains et qui me paraît totalement inoffensif pour le gecko vert. Une attaque par des fourmis a été observée et photographiée mais la qualité des photos n’a pas permis de déterminer l’espèce de fourmi en cause. Il aurait suffi d’en mettre quelques-unes  dans  … du rhum « Charrette ».

13  Sanchez, Mickaël et Lavergne, Christophe, Latanier et gecko : deux bons amis, Latania, n°22, décembre 2009.

14  Deso, Grégory, Probst, Jean-Michel, Sanchez, Mickaël, Inech, I., Phelsuma inexpectata Mertens 1966 et Phelsuma borbonica Mertens 1942 (Squamata : Gekkonidae) : deux geckos potentiellement pollinisateurs de l’île de La Réunion, Bulletin de la Société Herpétologique de France, 2008, 126, pp  9-23.

15   D.M. Hansen, K. Beer, C.B. Muller, Phelsuma ornate choosing between clear and colored nectar at experimental flowers, Biol. Lett., 2006, 2, pp 165-168.

…et qu’il faut absolument protéger !

   Nous avons vu en introduction le capital de sympathie dont bénéficie cette espèce. C’est une icône de la protection de la nature au même titre que le panda, les dauphins, les baleines, les tortues marines, à l’échelle de La Réunion, bien sûr.

   Ces geckos sont des champions de la survie. Opportunistes, ils montrent une plasticité de comportements, des facultés d’adaptation exceptionnelles au changement de leur environnement provoqués par l’homme, contrairement à certaines espèces, comme le pétrel noir par exemple, pour lesquelles le combat semble perdu d’avance.

   Nous avons vu que pour s’installer à Manapany ils ont élargi le régime alimentaire classique des lézards.

   Quelle autre espèce indigène terrestre peut quitter l’ombre des arbres pour s’exposer au soleil sur les galets noirs de la plage et résister à la déshydratation ?

   Ils exploitent des plantes exotiques, c’est-à-dire introduites par l’homme depuis moins de 350 ans. Leur petit cerveau reptilien les dote tout de même de facultés d’adaptation étonnantes !

   Dans le même ordre d’idée, ils ont appris à voler aux abeilles, qui sont également introduites, leurs pelotes de pollen.

   Ils résistent bien à l’urbanisation de Manapany et de Saint-Joseph. Ils sont même anthropophiles au point de rentrer dans les maisons. Ils supportent même … les pétards imbéciles du 31 décembre !

   La petite population de P. inexpectata transportée à 600 m d’altitude au Tampon16, peut-être involontairement avec des pieds de bananiers ou de palmiers a bien résisté à un changement de climat important.

   Surtout, ces lézards existent encore malgré toutes les introductions malheureuses de prédateurs par l’homme : chat, chien, rat, musaraigne, agame, couleuvre, caméléon, fourmis, … et les activités illicites des collectionneurs. Le marquis Hippolyte Charles Napoléon Mortier de Trévise commentait en 1891 son aquarelle « croquis de charmants petits lézards très nombreux dans la colonie il y a trente ans, à présent il n’en reste pas un seul. Les caméléons introduits à La Réunion en 1861 les ont tous détruits ». Il s’appuyait sur les observations d’Auguste Vinson qui notait, dès 1868, la sévère diminution de leurs effectifs dans l’est et qui rapportait dans une lettre à Louis Bouton en 1870 l’introduction de Calotes versicolor par le Saint Charles, environ 5 ans plus tôt. François de Mahy dans son ouvrage « Autour de l’ile Bourbon et de Madagascar » en 1891 déplore également la disparition apparemment totale des lézards verts et l’attribue aussi à l’agame : « Le caméléon d’ici n’est pas le vrai caméléon : c’est un assez gros lézard fort laid, d’importation récente (on ne sait pas qui nous en a dotés) et qui a dévoré tous les autres lézards, ses devanciers dans la colonie… Nos jolis lézard verts tachetés de rouge ont absolument disparu ».

   Pour notre bonheur, ces charmants petits lézards sont à nouveau présents. Ce sont réellement des champions de la survie.

   A contrario, le Piton Montvert qui est un Espace Naturel Sensible, et protégé à ce titre, présente une végétation naturelle encore assez riche. Malheureusement on n’y voit pas de lézards verts. La carte de Selhausen de 1793 nous montre que, déjà à l’époque, le Piton Montvert était un îlot au milieu d’espaces défrichés, coupé de la forêt. Il est important de ménager des corridors écologiques pour permettre le passage d’individus. Espérons que la plantation massive de lataniers rouges le long de la nationale 1 de La Possession à Grand-Bois permettra à Phelsuma inexpectata d’agrandir de façon significative son aire de répartition. C’est un rêve mais faisons tout pour que cette espèce identitaire, qui possède autant d’atouts pour sa survie, se maintienne.

16   Deso, Grégory, Rapport pour la contribution à la connaissance du lézard vert de Manapany dans le but de préserver cette espèce des effets indirects de la démoustication à La Réunion, Biotope, 2006.        

   Aujourd’hui ce sont de nouvelles introductions qui sont préoccupantes bien qu’elles ne soient pas perçues comme telles par le grand public :

   Le grand lézard vert de Madagascar provenant d’un élevage a été relâché à Saint-André en 1994. Il a été observé à Manapany et s’y reproduit. Atteignant 30 cm de long il est un prédateur du lézard vert de Manapany.

   Le lézard poudre d’or, très joli, plus petit (au maximum 13 cm comme le lézard vert de Manapany) serait très agressif et capable de le supplanter. Introduit à Grand-Fond en 1975 par Christian de Villèle, il a atteint successivement Saint-Gilles, La Saline, Saint-Leu, Etang Salé. Nous l’avons observé récemment dans le centre de Saint-Pierre.

   Un arrêté préfectoral a été pris en juin 2012. Qui le connaît ? Il interdit l’introduction et la détention de tout lézard vert exotique et autorise leur capture et leur destruction par l’ONF, la Brigade de la Nature et l’Association Nature Océan Indien.

   Qui sait reconnaître les 7 espèces de lézards verts présents aujourd’hui à la Réunion : P. inexpectata, P. borbonica, P. madagascariensis, P. laticauda, P. cepediana, P. lineata, P. astriata ?

   Qui acceptera de contribuer à la destruction de sympathiques lézards verts qui égaient son jardin, sa terrasse, s’apprivoisent aisément et sont si photogéniques ? Ce ne sont pas des mangeurs d’hommes. Certains sont même protégés internationalement. Les chats ne sont-ils pas plus dangereux pour l’espèce ?

   De plus cet arrêté préfectoral a été médiatisé de telle façon que l’on comprend le contraire de ce qu’il dit : la capture des lézards exotiques est interdite ainsi que leur destruction !

   Que penser aussi de l’inscription du vrai caméléon, Chamaeleo pardalis, sur la liste des animaux protégés à la Réunion, alors qu’il est lui aussi exotique et prédateur de gecko vert ? Où est la logique ?

   Cet arrêté est une façon pour l’Etat de se donner bonne conscience à peu de frais. Il faut prendre le problème en amont et interdire l’introduction de toute espèce exotique. Quand on sait qu’il se vendrait 30 pythons par semaine à La Réunion et encore plus d’iguanes on ne peut que s’inquiéter pour l’ensemble de la faune indigène de La Réunion. Tant que l’introduction de NAC, les expositions d’animaux exotiques (reptiles ou oiseaux), des shows de rapaces exotiques, …, seront autorisés voire encouragés, le problème persistera. C’est la même chose dans le domaine végétal : certaines plantes exotiques deviennent envahissantes. Lorsque le Président Sarkozy est venu à La Réunion, qu’a-t-il visité le 19 janvier 2010 ? Le Parc des Palmiers dont l’objectif affiché est la culture de 1000 espèces de palmiers alors qu’il y en a moins de 10 indigènes dans l’île. Est-ce ainsi que l’Etat donne l’exemple ? Une démarche citoyenne s’impose.

                                                                                                                                                                                                                        Nicole CRESTEY

                                                                                                                le 29 août 2013

           

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BORY de SAINT-VINCENT, J.B.M.G., Voyage dans les quatre îles principales des mers d'Afrique, 1804.

CHEKE, Anthony, HUME, Julian, Lost land of the Dodo, T&AD POYSER, 2008.

GLAW, Franck, VENCES Miguel, A field guide to the amphibians and reptiles of Madagascar, 1994.

PROBST, Jean-Michel, Animaux de La Réunion, Azalées éditions, 1997.

RIBES-BEAUDEMOULIN, Sonia, CHARLES, Nadia, Mammifères, reptiles et amphibiens, Muséum d'Histoire Naturelle.

WINTERS, Ria, A treasury of endemic fauna of Mauritius and Rodrigues, Blue Penny Museum, 2011.

© F. Duban 2013