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Insularité-Endémisme-Hétérophyllie




   La Réunion est apparue, au beau milieu de l’océan Indien, à partir de rien, il y a 3 millions d’années, à la suite d’activités volcaniques liées au fonctionnement d’un point chaud. C’est une île océanique et non un morceau détaché d’un  continent. Lorsqu’elle a émergé, elle était entièrement nue et a été colonisée petit à petit grâce aux courants marins, aux vents, aux oiseaux, … Les immigrants ne sont pas « choisis » au hasard. Il en résulte un peuplement disharmonique qui est loin d’être un échantillon aléatoire des faunes et des flores des régions voisines. La flore est constituée de végétaux à spores ou graines légères susceptibles d’être transportées par le vent, ou à graines capables de flotter et de résister à un long séjour dans l’eau de mer, ou d’être transportées par des oiseaux, sur leurs pattes ou leur plumage ou dans leur estomac. Chez les animaux indigènes on n’observe pas de batracien, ni de mammifères terrestres, ni de poissons strictement d’eau douce. D’après le conservatoire botanique de Mascarins, il y aurait 848 espèces de végétaux vasculaires indigènes dont 237 sont endémiques strictes de La Réunion, c’est-à-dire qu’on ne les trouve nulle part ailleurs, et 153 endémiques régionales. C’est dire si La Réunion et les Mascareignes apparaissent comme un véritable laboratoire de l’évolution, du fait de l’effet fondateur et de la dérive génétique. Une particularité des plantes indigènes des Mascareignes est le curieux phénomène de l’hétérophyllie. Dans la liste des végétaux du parcours de santé du Tampon les végétaux hétérophylles sont signalés par un H dans la colonne de droite. Voilà ce qu’en dit Francis Hallé dans son «Eloge de la plante, pour une nouvelle biologie», éditions du Seuil 1999 : « Au cours du développement des plantes, qu’il s’agisse d’une fougère, d’un fenouil, d’un acajou ou d’un frêne, il est habituel que les feuilles de la plantule aient des formes plus simples que celles de l’adulte. Aussi est-il intéressant de constater que la flore des Mascareignes – Maurice, La Réunion, Rodrigues – comporte bon nombre d’espèces chez lesquelles, à l’inverse, la plantule a des feuilles plus complexes que l’adulte. Faute de pouvoir citer la trop longue liste des ces plantes, je me bornerai à noter que ce phénomène concerne des familles qui ne sont nullement apparentées - Moraceae et Malvaceae, Rutaceae et Verbenaceae. Tenter d’expliquer cette complexité des feuilles de jeunesse par une adaptation aux conditions du milieu paraît impossible puisque le phénomène s’observe dans une large gamme de conditions locales, sèches ou franchement humides ; en outre, s’il s’agissait d’adaptations on devrait retrouver les feuilles juvéniles complexes dans d’autres régions aux climats comparables ; mais il n’en est rien, seules les Mascareignes présentent ce type de plantes. Le cas d’une Flacourtiaceae arbustive, Aphloia theiformis, apporte un éclairage nouveau. Cette plante a une aire géographique qui dépasse les Mascareignes et s’étend jusqu’à Madagascar, où elle est connue sous le nom de « thé malgache ». Aphloia theiformis n’a des feuilles juvéniles complexes que dans la zone des Mascareignes. A Madagascar son évolution foliaire est de type banal ; c’est bien une région géographique qui se trouve « touchée » par le phénomène sans que ce dernier possède de valeur adaptative évidente.»  Cette convergence géographique résulterait d’un transfert d’information génétique entre plantes d’espèces différentes, par des voies non sexuelles. Voici, de façon encore hypothétique, comment les choses ont pu se passer. Imaginons que les gènes, a priori nombreux, qui sont responsables de l’hétérophyllie se trouvent groupés sur un même segment chromosomique. On sait que certains virus sont capables de prendre place dans le génome d’un hôte, de se transmettre d’une cellule à l’autre par mitose et d’une génération à l’autre par la voie sexuelle normale. Par un mécanisme d’excision, ces virus peuvent aussi sortir du génome et redevenir des particules infectieuses. A la suite d’une erreur d’excision, la particule virale peut emporter avec elle un fragment de l’ADN de son premier hôte. Il est donc possible de concevoir l’existence d’un virus modifié, comportant l’information nécessaire à la réalisation de l’hétérophyllie. L’introduction de ce virus modifié dans un deuxième hôte implique l’action d’un vecteur. Des champignons du sol, des nématodes, des acariens, des insectes piqueurs de type puceron ou même des plantes parasites comme la cuscute peuvent jouer le rôle de vecteurs entre deux plantes ; et ces dernières peuvent appartenir à des espèces différentes. L’une des propriétés de l’ADN est sa capacité à intégrer presque immédiatement un autre ADN en cas de mise en contact. Une information génétique nouvelle prenant place dans une cellule méristématique se traduit alors par la modification de la plante « infectée » et de sa descendance. C’est ce que l’on appelle le transfert horizontal de gènes et c’est ainsi que l’hétérophyllie se serait répandue parmi les plantes des Mascareignes sans se soucier des limites systématiques qui les séparent. Il s’agirait d’un mécanisme évolutif original (d’après Francis Hallé dans « l’éloge de la plante, pour une nouvelle biologie » éditions du Seuil 1999).


origines et modes de colonisation
© François DUBAN 2011