L'écologisme aux Etats-unis


 

Introduction

Ce qui suit est une présentation nécessairement succincte et partielle de l'écologisme aux Etats-Unis, mais voudrait montrer que les questions de protection de l'environnement sont directement liées aux représentations mentales que nous avons de la nature, et aux mythes fondateurs de nos cultures respectives. La protection de l'environnement doit prendre en compte les données culturelles.

Ecologisme Environnementalisme

Déjà se pose une première question : qu'est-ce que l'écologisme ? Je répondrai en simplifiant que l'écologisme est une approche théorique, parfois philosophique, qui tente de réfléchir sur notre rapport à l'environnement, à la nature. Lorsque l'écologisme débouche sur une pratique, sur une gestion anthropique du milieu naturel, lorsqu'il devient une forme d'engagement ou de militantisme, il devient environnementalisme. En simplifiant à l'extrême, l'écologisme est une philosophie dérivée de la science écologique, l'écologie, et l'environnementalisme est action visant à mieux gérer notre environnement naturel, pour continuer à l'exploiter, mais en le préservant.

Pourquoi s'intéresser à l'écologisme, plus spécialement à l'écologisme aux Etats-Unis ?

Une première raison est que l'environnementalisme est né outre-Atlantrique, et que les approches américaines aux questions d'environnement on nécessairement influencé l'écologie politique en Europe et dans le monde

De plus, à l'heure du réchauffement climatique planétaire, imaginé ou avéré, il convient de s'intéresser aux mythes et aux théories ayant trait à la protection de la nature, de l'environnement, de l'écosystème global.

Autre bonne raison de s'intéresser à l'écologisme américain, l'influence grandissante de la notion de développement durable dans les affaires internationales. 

L'hégémonie des Etats-Unis sur la scène internationale leur confère une influence décisive dans la crédibilité de la mise en application d'une politique efficace de protection de l'environnement planétaire à l'heure où il est question de réchauffement climatique global. Plus gros pollueur et consommateur mondial, les Etats-Unis peuvent-ils d'ailleurs être crédibles sur ce plan ? Nous pensons tous aux accords de Kyoto.

Le paradoxe est là : l'environnementalisme est né aux Etats-Unis, au pays du gaspillage, ce qui peut paraître autant paradoxal que compréhensible. Le vrai paradoxe est qu'une culture dévastatrice des ressources et des milieux naturels se soit développée au cœur d'une nation littéralement créée sur des mythes ayant trait à la nature.

Les mythes fondateurs américains


Dans ce qui suit, je souhaiterais donc faire une présentation encore une fois nécessairement succincte de la naissance et du développement des idées écologistes aux Etats-Unis, et montrer en quoi ces idées sont issues des mythes fondateurs de l'américanité. Dans le prolongement de cette approche, j'aimerais apporter des éléments de réponse à cette question : pourquoi les Etats-Unis sont-ils finalement en retrait de la politique environnementale mondiale qui met en avant le développement durable ?

Je vais donc dans un premier temps faire état des mythes fondateurs de l'américanité, et montrer leurs liens étroit avec l'idée de nature.
Dans une deuxième partie je parlerai des l'environnementalisme américain à ses beaux jours, de 1970 à 1990.
Pour terminer, j'esquisserai une problématique axée sur le triptyque globalisation/ mondialisation/ développement durable, qui sans doute permettra d'engager un débat.

Mais auparavant, j'aurai, je l'espère du moins, montré que les Etats-Unis, se voulant de par leur histoire une nation d'exception, se donnant pour mission d'assurer le leadership planétaire, ne peuvent s'associer à une politique mondiale fondée sur le développement durable, concept inventé ailleurs qu'en Amérique, et donc étranger à la culture américaine qui ne parvient pas à se l'approprier.

 

I - Les mythes fondateurs américains liés à la nature
Virginie jardin du monde

Au début de la conquête, après 1492, le Nouveau Monde enflammait l'imaginaire européen qui le peuplait d'êtres extraordinaires et d'animaux fabuleux. Le continent n'ayant pu, en toute logique, être christianisé, il était déclaré vierge, il était la nature originelle, peut-être le nouvel Eden. Nombreuses sont les premières descriptions de la Virginie par les voyageurs anglais qui en firent un jardin merveilleux, aux arbres magnifiques, aux fleurs chatoyantes, aux fruits délicieux. S'installait alors le mythe de l'Amérique terre d'abondance. Ce mythe existe toujours en Europe, où l'Amérique reste encore la terre de l'abondance et du gaspillage.
Ce jardin merveilleux attira les premiers colons anglais qui s'y établirent de façon permanente à partir de 1607, à Jamestwon, sur la Baie du Chesapeake.


 

http://xroads.virginia.edu/~HYPER/HNS/garden.jpg



La forêt américaine en hiver comme l'ont peut-être trouvée les Pères pélerins du Mayflower à leur arrivée (1620)

La colonisation puritaine: la création de la wilderness

Voulant rejoindre la Virginie, le plus célèbre navire de l'histoire américaine, le Mayflower, ainsi que ses occupants échouent le 11 novembre 1620 à Plymouth Rock, non loin de Boston aujourd'hui. La nature américaine qu'il découvre n'a rien du merveilleux jardin de Virginie. C'est la grande forêt américaine originelle que dépouille l'hiver. C'est une morne et hostile wilderness, c'est à dire l'équivalent du désert du Sinaï pour ces pèlerins fous de Dieu qui se croient le nouveau peuple élu, le nouvel Israël.

Le mythe de la wilderness américaine est ainsi créé. La wilderness se définit comme la nature sauvage originelle américaine, vierge des corruptions de l'Europe, espace vierge où bâtir les utopies pour construire un monde meilleure, que ce soit celui des Puritains, des Quakers, des Amish, des Mormons, des Fouriéristes, et bien d'autres. Rappelons toutefois que si les Pères Pèlerins sur le Mayflower croient voir un continent vierge s'offrir à eux, c'est en raison de l'hécatombe qu'ont subi les tribus indiennes de la côte à la suite des premiers contacts avec les marins européens qui ont apporté avec eux des épidémies contre lesquelles les indigènes n'étaient pas immunisés. En bref, la wilderness est une création culturelle. Depuis que l'homme a fait son apparition sur terre, il entretient des rapports étroits avec son milieu, qu'il modifie, sans cesse, comme le font les castors ou les fourmis à leur échelle. Les forêts américaines soi-disant originelles étaient la création des feux allumés annuellement par les Indiens pour faciliter la chasse.

Et cette wilderness, puisque vide de toute présence humaine, fournit l'espace idéal où construire de nouvelles utopies. Ce sera, pour les Puritains, pétris de culture biblique, la citadelle sur la montagne, " a city upon a hill ". Cette citadelle se veut le phare offert au regard du monde que les Puritains veulent sauver du péché et des turpitudes papistes. Ce sera là le point de départ d'un mythe très américain, l'Amérique nation rédemptrice, à qui il revient de montrer le chemin du salut, tout en préparant la deuxième venue christique et le millénium. L'Amérique sera nation d'exception, sous le regard de Dieu.

Notons que c'est parce que la nature américaine est perçue comme un espace vierge que cette utopie puritaine a pu exister.
 



L'agrarianisme et l'expérimentation républicaine : la place de la terre et de la nature
 
 
 
 

Lorsque les colonies américaines britanniques se déclarent indépendantes en 1776, il échoit aux Pères fondateurs comme George Washington et Thomas Jefferson de mener à bien une impossible mission, impossible en tout cas aux yeux des monarchistes européens, celle de bâtir la première grande démocratie de l'histoire moderne. Comment garantir la perpétuation de la république américaine dans une société héritière de la tradition aristocratique ? Certes les nouveaux Etats se donnent une Constitution en 1787, mais je pense que si la république américaine a survécu, alors qu'une faction avait proposé à G. Washington de devenir roi, c'est grâce à la perspicacité et à l'œuvre immense de Thomas Jefferson. Son agrarianisme ancre la démocratie dans la terre américaine. La wilderness offre des terres vierges en quantité illimitée. Il suffit de la distribuer aux petits fermiers américains pour leur assurer l'indépendance économique, de les mettre ainsi à l'abri des pressions des tyrans, assurant leur liberté et la démocratie. La vie proche de la nature, dont le siècle des Lumières a fait la source de la vertu, maintiendra cette république agrarienne éternellement jeune et vivante.

Thomas Jefferson

 

Hoover Dam sur le Colorado. La retenue est censée assurer l'irrigation des terres agricoles distribuées à de petis fermiers.

Notons ici que la nature, et la terre américaines, et les terres libres de la soi-disant wilderness permettent le développement des Etats-Unis en tant que démocratie. L'Europe commence à croire que la démocratie peut effectivement fonctionner à grande échelle, que les républiques, qu'elles soient romaine ou française, ne sont pas condamnées au retour de la tyrannie sous la férule d'empereurs avides de pouvoir. Charles Alexis Clérel de Tocqueville se rend aux Etats-Unis en et en rapporte la matière d'un livre qui fera date : De la démocratie en Amérique (1835-1840). La pérennité de la démocratie en Amérique est assurément due à la tradition agrarienne jeffersonienne. Celle-ci se perpétue en 1862 avec le Homestead Act voté en pleine Guerre de Sécession. La tradition agrarienne inspire encore en 1902 le Reclamation Act permet d'irriguer les terres arides de l'Ouest pour la distribuer en théorie aux petits fermiers américains héritiers de Jefferson. 

 La démocratie doit à la wilderness, c'est-à-dire la nature sauvage ou prétendue telle, d'avoir survécu en Amérique avant de séduire l'Europe.

 

Hamilton et la tradition de la Frontière

Jefferson, dans les premiers temps de la république américaine, avait pour principale adversaire politique Alexander Hamilton, lequel prônait le développement de la jeune Union américaine par la multiplication des manufactures, et l'établissement d'un système bancaire fédéral. Hamilton ne vécut pas assez longtemps pour voir son rêve se réaliser. Mais à partir des années 1830-1850, l'industrie américaine, disposant de ressources naturelles illimitées, que la conquête de l'Ouest et le chemin de fer transcontinental allaient rendre aisément accessibles tout en ouvrant de nouveaux marchés, allait piller la nature sans vergogne

La domination de la nature et l'exploitation sans vergogne des ressources naturelles Cette tradition s'appuie sur la tradition protestante et se réfère à la Bible. C'est en tout cas la thèse de l'historien Lynn White dans un article paru dans Science que de dire que cette tradition protestante et chrétienne peut rendre compte de la domination de la nature par les cultures anglo-saxonnes et européennes qui ont la Bible pour fondement. Le monde fut donné par Dieu à l'homme pour qu'il y règne en maître.

26 Et Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux dans l’air, et sur le bétail, et sur toute la terre, et sur chaque chose qui rampe sur la terre. 27 Et Dieu créa l’homme en sa propre image; il le créa en l’image de Dieu; il les créa mâle et femelle. 28 Et Dieu les bénit; et Dieu leur dit : Fructifiez et multipliez, et remplissez à nouveau la terre, et assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer et sur les oiseaux dans l’air, et sur toute chose vivante qui se meut sur la terre.Ce serait la véritable source de l'anthropocentrisme européen. C'est en tout cas l'une des justifications a posteriori de l'exploitation effrénée des ressources naturelles dans l'Ouest américain par les héritiers d'Alexander Hamilton.

Promontary Point (1869) - Première ligne ferroviaire transcontinentale aux Etats-Unis.

Henry David Thoreau

Le Transcendantalisme : valorisation de la nature et avènement des banlieues

Le choc entre le rêve agrarien et pastoral de Jefferson et celui mécaniste et capitaliste de Hamilton eut lieu dans les années 1850. Le mouvement intellectuel qui en rend le mieux compte est sans nul doute le Transcendantalisme, qui est, toutes proportions gardées, l'équivalent du Romantisme aux Etats-Unis. Ralph Waldo Emerson écrit un essai intitulé " Nature " en 1836, et Henry David Thoreau fait une retraite de deux ans dans les bois, expérience qu'il relate dans son Walden (1854). Le transcendantalisme nous intéresse en ce que de nombreux historiens de l'écologisme américains y voient les premières manifestations d'idées très populaires chez certains écologistes de nos jours. Thoreau considérait ainsi les poissons de l'étang de Walden, et les oiseaux, voire les étoiles, comme ses voisins à part entière. Cette égalitarisme biocentrique est exactement celui des tenants de l'égalitarisme des droits inter-espèces de nos jours. On peut donc voire dans les idées du Transcendantalisme américain les germes du biocentrisme de certains écologistes de nos jours.

Le biocentrisme destitue l'homme de son piédestal anthropocentrique et en fait une espèce ordinaire. La source des valeurs n'est plus l'homme créature de Dieu et maître du monde, mais la vie.

Certains historiens, comme Madame Body-Gendrot en France, ont pu également trouver une partie de l'engouement américain pour les banlieues dans le Transcendantalisme. L'essor de l'industrialisme a permis le développement du mitage urbain (urban sprawl, l'un des maux les plus vivement dénoncés par les écologistes américains de nos jours) grâce à la généralisation des moyens de transport en commun, puis grâce à l'automobile. Vivre en banlieue, c'est échapper aux vices urbains, retrouver la vie vertueuse proche de la nature.


II - L'environnementalisme américain 1970-1990

Mouvements précurseurs

Préservation

Le Transcendantalisme a également largement influencé et contribué à l'essor du premier mouvement de protection de la nature au Etats-Unis, la préservation.

La " préservation ", dont la figure de proue fut John Muir (1838-1914), reconnaissait à la nature une valeur intrinsèque, indépendamment des considérations utilitaristes anthropiques, et militait pour la protection intégrale des espaces inviolés. Le mouvement est à l'origine du développement des parcs nationaux, mais il faut surtout insister sur le rayonnement de son Père fondateur, John Muir, Transcendantaliste convaincu et convaincant par ses écrits, où la wilderness est célébrée comme temple où retrouver le divin. Sa pensée, en accordant à la nature une valeur intrinsèque, préfigure le biocentrisme de philosophies plus récentes, comme l'écologie profonde.

John Muir (1838-1914)


 

Gifford Pinchot (1865-1946)

Conservation

La fin du XIXème siècle marque aussi la fin de la Frontière et les premières inquiétudes concernant la disparition concomitante de la wilderness américaine, qui est le lieu par excellence de l'identité nationale, puisque c'est la conquête de la wilderness qui refonde l'unité nationale après la Guerre de sécession. Avec la fin de la Frontière sonnait le glas du mythe de l'abondance inépuisable de la nature américaine

Un premier mouvement de protection de la nature apparut à la fin du XIXème siècle et se divisa très vite en deux branches distinctes. La " conservation ", sous l'égide de Gifford Pinchot (1865-1946), prônait une gestion avisée (wise use) des ressources naturelles du pays. La conservation apparaît comme l'un des volets essentiels de l'ère du progressisme incarnée par Theodore Roosevelt, en réaction contre les abus d'un capitalisme sauvage et de la corruption ambiante. Gifford Pinchot, un des proches du Président, insista à maintes reprises sur l'urgence qu'il y avait à redonner au peuple américain le contrôle de l'usage qui était fait des ressources naturelles du pays, du bois d'œuvre des forêts nationales notamment. Il fut d'ailleurs le père du National Forest Service.

Ces deux mouvements, conservation et préservation, semblent correspondre à des approches fondamentales des rapports de l'homme à la nature aux Etats-Unis, puisque de nos jours l'un des deux courants principaux de l'environnementalisme américain, l'environnementalisme dominant ou anthropocentrique, peut être considéré comme l'héritier de la conservation, alors que l'environnementalisme radical, l'autre courant du mouvement, s'apparente à bien des égards à la préservation.

La création des Parcs nationaux

A la même époque, la fin du XIXème siècle, apparaissent les premiers parcs nationaux.

En fait, et c’est là tout le paradoxe de ces derniers, sous couvert d’y respecter et d’y préserver la nature, de la soustraire aux visées utilitaristes des entreprises minières et forestières, on ne fait qu’affirmer la prééminence de motivations anthropocentriques. Les parcs sont aménagés de façon à permettre au plus grand nombre de visiteurs d’y avoir accès et d’en découvrir les beautés et les richesses aussi commodément que possible, et non pour y sauvegarder des espèces ou des étendues sauvages ou des écosystèmes menacés.

Dès 1864, le Congrès confiait la vallée de Yosemite à l’Etat californien pour en faire un parc. Le Yellowstone National Park fut créé en 1872. Puis furent créés les parcs Sequoia et General Grant (1890), Mount Rainier (1899), Crater Lake (1902), Mesa Verde (1906), Petrified Forest (1906), Grand Canyon (1908), Zion (1909), Olympic (1909), Glacier (1910), Rocky Mountain (1915), Hawaii Volcanoes (1916).

On remarque une accélération de la création de parcs à partir de 1906, date du vote du Antiquities Act, qui permet au Président des Etats-Unis, dont c’est une prérogative, de décider de l’ouverture de monuments nationaux contenant des objets d’intérêt historique, scientifique, ou tout simplement des sites remarquables pour la beauté de leurs paysages, sans en référer d’abord au Congrès. Un quart des parcs nationaux existant aujourd’hui ont ainsi été créés en tant que monuments nationaux. L’association entre parcs nationaux et monuments historiques, gérés par la même administration, remonte donc à l’Antiquities Act;, voté à la suite de l’émotion soulevée par les actes de vandalisme perpétrés à l’encontre de sépultures Anasazi dans le Sud-Ouest. Restait le problème de la gestion de la vingtaine de parcs nationaux existant en 1916.

Le National Park Service Actde 1916 les regroupa en un système national (National Park Service ou N.P.S.). Cette loi organique de 1916 définit la double mission de l’agence : " to conserve the scenery and the natural and historic objects and the wildlife therein and to provide for the enjoyment of the same in such manner and by such means as will leave them unimpaired for the enjoyment of future generations ".(thierry nativel’s package, Alston Chase, Playing God in Yellowstone; doc. n°28, 1er §) Ainsi, dès la création du National Park Service, valeurs esthétiques et historiques sont associées à la protection de la vie animale et végétale, mais la justification première de la mise en place du système est le plaisir du visiteur. Il ne s’agit pas de respecter ou de sauvegarder la nature pour des raisons éthiques. Au moment de la création des premiers parcs, la protection des espèces animales et végétales dans leur milieu naturel n’est pas la préoccupation première des responsables. Elle ne se justifie que dans la mesure où elle contribue à l’agrément des visiteurs. Si on ne peut concevoir les parcs sans une forme ou une autre de protection de la nature, la double mission du National Park Service impose aussi, et avant tout, d’assurer l’accueil.

Les conséquences de cette politique sont multiples. Afin de faciliter les visites, voire de les agrémenter, des routes et des établissement hôteliers sont édifiés. De même sont éradiqués les prédateurs tels que les loups, dont la présence est considérée comme préjudiciable à la multiplication d’espèces jugées nobles, ou ayant la faveur du public, bisons et cervidés en particulier. Notons que de nos jours le loup a été réintroduit dans le Yellowstone, et que cette réintroduction a nourri et nourrit encore des conflits très durs, comme pour l'ours ou le loup en France. Si le concept de protection totale ou " préservation a donc en théorie présidé à la naissance, en 1916, du National Park Service, il faut bien voir qu’il ne s’agissait nullement de laisser la nature en l’état dans les parcs. Le Ministre de l’Intérieur Rogers Morton, cité par le New York Times, rappelait en 1972 : " Parks are for people ", formule lapidaire, qui en plein débat entre biocentrisme et anthropocentrisme, fit mouche.

A noter : En 1954, le directeur du Park Service, Conrad Wirth, constatant leur immense succès, prononça la phrase désormais célèbre : "The people are loving the parks to death". En 1990 ils ont reçu plus de 330 millions de visiteurs.


 

Zion National Park (Utah)

Clements in the early 1930's. From Croker, plate following p. 94.
Source: http://www.nceas.ucsb.edu/~alroy/lefa/Clements.html. Accessed April 13, 2004.

L'entre-deux-guerres

Revenons aux mouvements précurseurs de l'environnementalisme contemporain aux Etats-Unis. L'entre-deux-guerres se caractérise tout d'abord par le développement de la science écologique, où les écologues américains s'illustrent particulièrement. Citons pour exemple Frederic Clements et ses travaux sur la Prairie, qu'il qualifie d'organisme complexe parvenu à maturité au terme d'une succession dynamique de stades intermédiaires.

Cette jeune science a profondément marqué un des Pères fondateurs de l'environnementalisme américain contemporain, Aldo Leopold. Formé à l'école de la conservation, ce cadre du Forest Service en vint, au terme de sa vie, à épouser des vues que l'on peut qualifier de biocentriques et qu'il exposa dans son ouvrage posthume, Sand County Almanac (1949), passé quasi inaperçu lors de sa parution, et devenu l’un des bréviaires des tenants de l'écologisme.

On lui doit avant tout une nouvelle approche des questions liées à la protection de la nature, protection qu'il veut lier à une conscience morale écologique. Il définit ainsi une éthique de la terre (land ethic). Pour Leopold, la " terre " (land), outre les sols et les cours d'eau, inclut les plantes, les animaux et les humains qui l'habitent. L'homme est donc un membre de la communauté du vivant, et il est de sa responsabilité de la respecter. De la valeur intrinsèque reconnue à la nature par la préservation, on est donc passé à l'éthique, en prélude à la question des droits de la nature.

Le wilderness movement

L'entre-deux guerres fut aussi marqué par la naissance du mouvement pour la wilderness, avec la fondation de la wilderness Society (1935) qui manifeste l’intérêt soutenu de la classe aisée blanche de la côte Est pour la sauvegarde des grands espaces vierges de l’Ouest. Ce mouvement, dont l'objectif premier était la préservation des terres vierges restantes, en rapide diminution, eut ses objectifs retardés par la seconde guerre mondiale, et ce n'est qu'en 1964 que fut voté le Wilderness Act qui organisa la protection systématique des espaces classés " wilderness " sur les terres fédérales. Ce mouvement témoigne de la fascination américaine pour ces terres sauvages dont l'imaginaire national a fait le berceau de l'américanité, fascination qui demeure une des composantes essentielles de l'environnementalisme américain.

La naissance de l'environnementalisme dans les années 1960

Pollution

Après la seconde guerre mondiale, l'économie américaine connaît une expansion soutenue, d'où une pollution de plus en plus visible. Ainsi, en 1969, la rivière Cuyahoga prend feu spontanément à Cleveland, dans l'Ohio. Les recherches militaires durant le conflit apportèrent des découvertes qui se traduisirent par la multiplication des biens de consommation offerts au public, au nombre desquels des articles issus de l'industrie chimique, tels que les pesticides à base de DDT. La dégradation du milieu naturel, que le grand public apprend bientôt à nommer " environnement ", les multiples pollutions dont il est l'objet, conduisent à une prise de conscience dont le catalyseur sera Silent Spring (1962), l'œuvre maîtresse de Rachel Carson, spécialiste de biologie marine. Elle y dénonce la diffusion inéluctable et irrémédiable des poisons chimiques de l'industrie des pesticides dans les mers et sur toutes les terres. La prise de conscience écologique du public américain est contemporaine des missions lunaires qui révèlent l'extraordinaire beauté et la fragilité de la planète Terre. Elle est aussi contemporaine de l'agitation des baby boomers au seuil de l'âge adulte qui font entendre leur contestation et leur opposition au conflit au Vietnam, ainsi que des émeutes liées au militantisme noir. Dans ce climat de contestation est organisé le premier Jour de la Terre (Earth Day). Certains observateurs ont cru voir dans cette fête nationale si soudainement et si bien organisée une manœuvre de l'exécutif en difficulté sur la question vietnamienne.
 L'environnementalisme dominant de 1970-1990

L'environnementalisme naquit donc " officiellement " le 22 avril 1970. Rapidement, le mouvement se divisa en deux branches. L'environnementalisme " dominant " (mainstream) anthropocentrique, proche du pouvoir, émanation d'une classe moyenne blanche aisée, dont le souci premier est de veiller à la salubrité de l'environnement pour une meilleure qualité de vie. Ce courant, " bon chic bon genre ", est rapidement institutionnalisé et débouche sur des réformes, dont une législation environnementale particulièrement volumineuse, et se donne comme moyen d'action le lobbying et plus tard le recours à la procédure. Il reste, de par le pouvoir financier de ses adhérents, très influent.

Il s'appuie sur de grandes organisations environnementales, comme Greenpeace. Mais la grande organisation environnementale américaine par excellence est le Sierra Club, qui fut au départ fondé par John Muir. Ces grandes organisations constituent véritablement le moteur de l'environnementalisme dominant américain. Elles sont à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force car elles allient le savoir-faire et l'efficacité américaine en termes de communication et d'influence, sa faiblesse parce qu'elles dépendent des cotisations des adhérents. Et les adhérents sont avant tout sensibles à la protection de petits animaux, de préférence à fourrure, succédanés de peluches attendrissantes. Ils sont aussi mobilisables pour la défense des derniers arpents de wilderness américaine originelle et fondatrice. Pourtant, même l'engouement pour la protection de la wilderness semble décliner dans une société qui vient de découvrir le terrorisme international.

Ces grandes organisations ont contribué, en s'appuyant sur l'engouement pour les questions environnementales des années 1970, à faire voter toute une série de lois. Ces lois ont permis notamment d’améliorer sensiblement et rapidement la qualité de l’air et de l’eau sur le territoire de Etats-Unis, ainsi que la protection de la vie de sauvage. Cet appareil législatif a pour fleurons le National Environmental Policy Act (NEPA), (1970), qui crée l'Agence fédérale pour la protection de l'environnement (E.P.A., Environmental Protetection Agency), le Clean Air Act (1963, 1965, 1970, 1977, 1990), le Clean Water Act (1960, 1972, 1977), et l’Endangered Species Act (ESA) (1973). Mais il faudrait mentionner l’existence de centaines d’autres lois fédérales. Dans la décennie 1980-90 on considère que plus de 300 textes majeurs on été adoptés.

Ces lois, perçues comme très contraignantes par les propriétaires fonciers surtout dans l'Ouest, ont conduit à une violente réaction contre l'environnementalisme et les environnementalistes et la création du wise use movement. Ce mouvement anti-environnementaliste regroupe essentiellement des bûcherons, des ranchers, des ouvriers des industries extractives, le plus souvent dans l'Ouest. Il s'appuie sur une vieille tradition de l'Ouest qui nourrit une rancœur invétérée à l'égard de l'Etat fédéral, qui reste le plus gros propriétaire foncier de l'Ouest.

Cet appareil législatif a également conduit à un usage immodéré et très américain de la procédure pas les environnementalistes qui en exigeant l'application stricte de la loi ont parfois conduit à paralyser l'économie de régions entières.

Ce fut le cas pour la chouette tachetée, espèce de rapace vivant dans les forêts du Nord-Ouest, c'est à dire le nord de la Californie, en Orégon et dans l'état du Washington, région où l'industrie forestière a longtemps été la première activité économique. L’Endangered Species Act (ESA) de 1973, loi où se mêlent les considérations biocentriques et anthropocentriques, prévoit la protection des espèces animales et végétales menacées non pas en protégeant les individus de l’espèce, mais leur habitat. Les groupes environnementaux du Nord-Ouest, en utilisant la chouette tachetée, qui, espèce rare et menacée, ne semble pouvoir survivre que dans les forêts primaires, portèrent l’affaire devant les tribunaux où ils trouvèrent des juges sensibles à leur cause. Le 7 novembre 1988, le Juge fédéral Thomas Zilly établit que le U.S. Fish and Wildlife Service, responsable de la mise à jour de la liste des espèces protégées par l’Endangered Species Act, avait fait preuve d’arbitraire et de légèreté dans sa décision de ne pas y faire figurer la chouette tachetée. Il lui enjoignit de revoir son rapport. Au début de l’année 1989, deux mois après que le Forest Service eut rendu public son plan final pour la survie du volatile, la section de Seattle de l’Audubon Society, de concert avec d’autres organisations environnementales regroupées au sein de l’Ancient Forest Alliance, attaquait le plan et le procédé des coupes rases. Le juge William Dwyer suspendit la plupart des ventes de bois de forêt primaire dans le Nord-Ouest qui ne seraient pas déjà sous le coup d’un arrêt similaire établi à Portland, à l’issue d’un procès semblable à l’encontre du BLM. Ces injonctions, et celles qui suivirent en 1991, ont littéralement paralysé l’industrie forestière du Nord-Ouest des années durant, la forçant à avoir recours à des mesures de substitution. Enfin, l’affaire de la chouette tachetée obtint une consécration médiatique nationale quand Time en fit sa couverture en juin 1990.

Ce qu’il faut retenir de ces combats pour la protection des forêts et de l’affaire de la chouette tachetée, c’est l’intransigeance, et la continuité dans le combat, des environnementalistes locaux et régionaux. A l’inverse, alors que les grandes nationales se montrent véhémentes contre toute coupe claire dans la forêt amazonienne, elles n’ont jamais condamné l’abattage dans les forêts nationales sur le territoire des Etats-Unis. Autre fait à retenir de cet épisode, la permanence de la nature sauvage comme pôle mobilisateur de l’environnementalisme américain. C’est autour de ce pôle que furent créés les Parcs Nationaux, que se constitua le mouvement connu sous le nom de préservation, que fut fondée la Wilderness Society et le mouvement en faveur de la nature sauvage qu’elle continue de représenter, et enfin, de nos jours, c’est toujours autour de la nature sauvage que se mobilisent les écologistes les plus combatifs de la nouvelle vague environnementaliste, comme les écologistes " profonds " les plus actifs, notamment ceux d’Earth First!. Ce dernier mouvement est une organisation plus ou moins secrète d'écoterroristes qui appartiennent à l'autre branche de l'environnementalisme, l 'environnementalisme radical.


www.dreamwater.org/biz/launchpad/ earth/deep.htm

L'environnementalisme radical et l'écologie profonde : les années 1970

L'environnementalisme " radical ", au sens américain, contestataire et militant, passa très tôt sous l'influence de l'écologie " profonde " apparue en 1973 avec l'article fondateur du Norvégien Arne Naess : " The Shallow and the Deep, Long-Range Ecology Movements: A Summary ". Le radicalisme de l'écologie profonde a pu conduire certains de ses partisans au terrorisme écologiste, par le biais de l’éco-sabotage (ecosabotage ou ecotage), en particulier le cloutage des arbres destinés à être abattus dans les forêts primaires. On peut inclure dans ce mouvement, infiniment plus complexe à décrire que le courant dominant, l'écoféminisme, l'écologie sociale de Murray Bookchin, les adeptes du bio-régionalisme, et, désormais, la " Justice environnementale ". La Justice environnementale, relativement récente (fin des années 1970) regroupe des militants issus des minorités ethniques : Noirs, Hispaniques et Indiens. Il est à noter que l'influence de l'écologie profonde, difficile à mesurer, est néanmoins tangible dans la plupart de ces courants. L'écologie profonde se caractérise par son biocentrisme exacerbé qui mène logiquement à une remise en question fondamentale de nos sociétés, puisque l'espèce humaine y est reléguée au rang d'espèce ordinaire, devant accorder aux autres espèces les mêmes droits à l'épanouissement et à la vie. Cette révolution idéologique a même été comparée à la révolution copernicienne.

Enfin, il faut mentionner l'existence d'innombrables groupes locaux, impossibles à classer, qui se mobilisent pour une cause que l'on peut certes considérer comme " environnementale " mais qui militent surtout pour la préservation de la qualité de leur cadre de vie. Cet environnementalisme de base (grassroots environmentalism) constitue un bon exemple de ce que le Français Gilles Lipovetsky a qualifié d'" hédonisme écologique ", recherche égoïste de qualité de vie passant par un environnement agréable, qui ferait partie désormais des attentes ordinaires des citoyens des pays développés.

III - Un mouvement en pleine crise : 1990-2002
Voilà donc dressé à grands traits le tableau de l'environnementalisme américain dans les années 1990, à un moment qui a peut-être été son apogée. De nombreux facteurs sont venus miner ce qui demeure encore aujourd'hui un mouvement influent.
Un exemple : le Sierra Club

Le premier facteur délétère a sans doute été la distance grandissante entre les grands appareils des grandes organisations environnementales dont le siège est à Washington, proches des allées du pouvoir, et le militantisme de base.

Je citerai un cas particulièrement exemplaire: en 1990, le Chapitre Atlantique du Sierra Club, fort de 40 000 membres et sous l’impulsion de l’énergique Margaret Hayes Young, travailla avec d’autres organisations à faire arrêter toute coupe dans les forêts nationales des Rocheuses. Notons au passage l’intérêt des environnementalistes de l’Est pour les richesses naturelles de l’Ouest, intérêt que les habitants de ce dernier appellent ingérence. La direction du Club fit savoir à Margaret Hayes Young que ses efforts allaient à l’encontre de la politique du Club. Madame Young persista, et les hautes instances du Club la menacèrent de destitution et de suspension des activités de son groupe. Le courrier électronique répandit la nouvelle dans les autres Etats et bientôt la hiérarchie du Club à Washington fût inondée de messages électroniques cinglants à son endroit, et apportant un soutien appuyé à Madame Young. C’est alors que devant l’obstination des dirigeants un mouvement insurrectionnel se mit en place au sein même du Club, qui prit le nom d’Association of Sierra Club Members for Environmental Ethics (ASCMEE).

Il déclarait que son mouvement se consacrerait à " redonner au Club sa juste place en tant que pierre angulaire du mouvement environnementaliste. Dans le respect de l'héritage de John Muir ASCMEE s'emploiera à rendre le Club aussi moralement irréprochable, aussi ardent dans la défense de la nature sauvage, et aussi visionnaire en matière de biocentrisme que faire se pourra. Nous ne prenons pas le Club en main, mais nous le reprenons ".

Menacée de rejet si elle faisait encore usage de la mention "Sierra Club" dans son sigle, l’association s’appelle désormais The John Muir Society pour bien marquer son retour aux origines, au biocentrisme avant la lettre du Père Fondateur.

La conclusion qui s'impose ici et qui peut être généralisée, est qu'il y a divorce entre les environnementalistes de base convaincus et militants, et la lourdeur des appareils bureaucratiques de la machinerie environnementaliste du courant dominant.

Possibles collusions avec les milieux industriels et financiers

Ses apparatchiks sont capables de trouver des compromis, sinon des compromissions, avec les grandes compagnies industrielles, qui très souvent les subventionnent pour se donner une image verte. Il faut savoir aussi que ces accords entre grandes organisations environnementales et grandes compagnies industrielles sont l'une des rares possibilités d'action pour les environnementalistes qui doivent évoluer sur une scène politique américaine dominée depuis novembre 1994 par les Républicains, en général très à l'écoute des intérêts des milieux financiers, économiques et industriels. Ces collusions entre industriels et grandes organisations environnementales sont de plus en plus dénoncées.



Une législation trop rigide qui porte atteinte à la popularité de l'environnementalisme aux Etats-Unis.

 La rigidité et la lourdeur de la législation environnementale est un autre facteur qui a beaucoup coûté en termes de popularité à l'environnementalisme américain. Les sondages continuent de mettre en évidence un soutien de 50 à 90% selon les questions posées à la cause environnementale. Il faut prendre ces statistiques avec beaucoup de précaution mais il n'en demeure pas moins que l'environnementalisme reste populaire aux Etats-Unis où presque chaque Américain se déclare " écolo ". Mais il faut admettre que la lourdeur, les lenteurs et les rigidité des dispositions réglementaires en matière d'environnement ont beaucoup coûté à la cause environnementale, en particulier dans les milieux travaillant au contact de la nature, fermiers, bûcherons, ranchers.

Des groupes locaux hétérogènes discutent autour des questions environnementales.

 En partie pour contrer l'élargissement du fossé qui oppose environnementalistes et ruraux dans l'Ouest, des citoyens américains venus de tous les horizons, ? environnementalistes, ranchers, forestiers, agents fédéraux, administrateurs locaux, industriels ? ont parfois constitué des groupes de discussions soucieux de faire avancer les choses en dépit d'un climat détestable. On peut ainsi citer l'Applegate Partnership en Oregon, le Quincy Library Group en Californie, la Henrys Fork Watershed Association en Idaho, et le Blackfoot Challenge au Montana (Snow196).

Que ces groupes se multiplient ou qu'ils restent confidentiels, l'avenir nous le dira. Mais pour l'environnementalisme américain, ces groupes marquent le déclin de l'intransigeance environnementaliste à l'égard de la protection de la wilderness américaine originelle. Ces groupes travaillent nécessairement sur des compromis. Le fondamentalisme biocentrique de l'écologie profonde qui constituait le noyau dur des mouvement pour la protection de la wilderness n'est plus de mise. L'environnementalisme radical dont les positions malthusiennes amènent à parler d'" écocataclysmisme " semble incapable de proposer des solutions aux problèmes de dégradation environnementale.



La Justice environnementale

 Autre fait significatif, qui contribue à marquer l'érosion de la protection de la wildernesscomme moteur de l'environnementalisme américain, l'émergence de la Justice environnementale. On peut définir ce mouvement comme l'environnementalisme des minorités ethniques aux Etats-Unis. Trop souvent, déchets toxiques et incinérateurs sont localisés près des communautés noires, hispaniques ou indiennes. Les mères dans ces communautés se battent pour la santé de leurs enfants. Ce mouvement est donc radicalement distinct de l'environnementalisme dominant blanc qui tente pourtant de le récupérer pour se donner bonne conscience. Le mouvement pour la Justice environnementale est dirigés par des femmes, il refuse la centralisation et la récupération. Il se préoccupe de salubrité publique et de dignité humaine et non de la protection d'espèces en voie de disparition ou de mythique wilderness originelle. Cette évolution, sur le territoire des Etats-Unis, est significative. Elle rompt avec la tradition de l'esthétisme blanc préoccupé de wilderness originelle, tout comme avec le fondamentalisme biocentrique préoccupé de la survie des espèces menacées, et marque le retour à un anthropocentrisme universel. Il est à l'Amérique ce que le Sud ? les pays pauvres ? est au monde. Il marque la priorité accordée à l'humain dans les questions de protection de l'environnement, priorité qui a reçu pour nom " développement durable " à Rio.

Globalisation contre développement durable

La globalisation et sa logique consumériste : le pillage des ressources naturelles par les multinationalesLa conférence de Rio (1992) s'inscrit dans un contexte plus large, celui de la globalisation. Je distingue ici entre globalisation et mondialisation. La globalisation est le résultat de la logique consumériste et libérale, héritière du capitalisme sauvage qui a conquit l'Ouest américain de la Frontière. La globalisation amène donc la poursuite de la tradition de l'exploitation aveugle des ressources naturelles : déforestation massive, ressources halieutiques réduites à néant, pillages des dernières réserves pétrolières. Dans la même logique, les coûts de la main-d'œuvre sont réduits par la délocalisation. Les Américains souffrent autant que l'Europe de la perte d'emplois liés aux délocalisations. La globalisation s'appuie largement sur les grandes institutions internationales comme l'ONU, qui elle-même repose sur la notion d'Etat, et d'Etat-nation.

La mondialisation correspond à l'accélération des communications et des échanges, de tous ordres, de par le monde, avec une montée en puissance des ONGs. Nous sommes peut-être en train d'assister à l'érosion de la toute-puissance de la notion d'Etat-nation pour voir émerger celle des ONGs.



Rio et le développement durable

 C'est dans ce contexte international, marqué par l'effondrement de l'empire soviétique, l'émergence de la polarisation Nord/Sud, et désormais la menace du terrorisme international, que tente de se développer une approche mondiale des problèmes environnementaux . Le rapport Brundtland avait dès 1987 constaté l'accélération de la dégradation de l'écosystème planétaire. Mais l'apport décisif du rapport Brundtland fut l'affirmation que la pauvreté augmentait les atteintes à l'environnement et que la dégradation de ce dernier entraînait à son tour plus de pauvreté, spirale infernale dont on ne voyait pas la fin. C'est le concept de développement durable qui apportait une réponse dynamique au problème en conciliant développement économique, justice sociale, respect de l'environnement et des droits des générations futures.

Ces principes furent entérinés à la Conférence de Rio (1992) qui suscita beaucoup d'espoirs.

Mais la paternité du rapport Brundtland n'est pas américaine et George Bush ne fit qu'une apparition à la Conférence de Rio. De même, les organisation environnementales américaines ont été peu entendues à Rio. L'environnementalisme américain qui aurait pu prendre le train du développement durable en marche a sans doute laissé passer là une occasion historique de donner à l'Amérique le rôle de leadership que son héritage culturel lui fait rechercher. La mission de l'Amérique, le salut du monde aux temps des Puritains, la généralisation de la démocratie et des droits de l'homme après la Révolution américaine, avec pour corollaires la lutte contre le fascisme et le communisme au siècle dernier, aurait pu devenir le sauvetage de l'écosystème planétaire.

Johannesburg : le constat d'un échec

 La présence américaine a été discrète à la Conférence de Johannesburg (2002). L'absence remarquée du Président américain, son Secrétaire d'Etat Colin Powell conspué, le rapport final de la Conférence où n'apparaît aucun calendrier, et un constat d'accélération de la dégradation de l'écosystème global, autant d'éléments qui ont pu faire parler d'échec.

La position officielle américaine est toutefois bien différente. Officiellement, l'état fédéral dénonce les grand-messes médiatiques comme celle de Johannesburg et leur préfère des actions ponctuelles et efficaces, sur tous les continents, dans la droite ligne du pragmatisme américain. Ces programmes officiels d'aide au pays pauvres associent d'ailleurs les firmes et compagnies américaines à leur action sous l'égide de USAID, l'agence fédérale d'aide internationale.


http://www.zachtrenholm.com/

L'absence américaine : le cas de Kyoto

 Une autre exemple flagrant du divorce entre l'Amérique et la communauté internationale sur les questions de la protection de l'environnement est fourni par les accords de Kyoto. On a pu entendre dire dans la bouche d'un représentant officiel de l'état fédéral que le réchauffement climatique était de toute façon un bonne chose puisque nous allions vers un période glaciaire. Plus sérieusement, certains hauts responsables ou experts universitaires américains dénoncent ce qu'ils appellent les mythes de la propagande environnementaliste mondiale et considèrent que la science doit encore approfondir ses investigations. La complexité de l'évolution des climats échappe à la modélisation et nos plus puissants ordinateurs ne peuvent apporter que des réponses limitées aux simulations de réchauffement. Et les mesures envisagées pour réduire le réchauffement de la planète pourraient créer des problèmes sociaux et économiques plus importants que ceux découlant du réchauffement.

Il est évident que sur toutes ces questions d'actualité, nous manquons de recul pour être objectifs. Que la position du gouvernement américain nous paraisse inspiré par les milieux d'affaires et les pétroliers texans est une chose. Mais force est de constater qu'un mouvement anti-écologiste se manifeste dans le monde et même en France, dont les représentants les plus sérieux mettent en doute les mythes majeurs de l'écologisme. Un exemple suffira : faut-il autoriser les OGMs qui pourraient contribuer à nourrir le monde, ou faut-il les interdire au nom du principe de précaution ?

Conclusion
 Pour conclure, les Etats-Unis sont pour l'instant en tout cas à l'écart de la politique environnementale mondiale pour plusieurs raisons, et l'on peut voir dans cet état de choses la rémanence des mythes fondateurs de la nation américaine. En s'érigeant comme nation rédemptrice du monde, les Etats-Unis se veulent leader mondial, et dans la mesure où le développement durable n'a pas été de leur initiative, ils le boudent. Toutefois, il ne faudrait pas assimiler l'administration Bush à la nation américaine tout entière. De nombreux Américains ne demandent qu'à participer à l'effort pour améliorer l'état de la planète, et les ONGs américaines ont déjà, de façon pragmatique et concrète, lancé de nombreux projets en faveur de l'amélioration de l'état de la planète.